Les expériences qui ont eu lieu devant moi à la villa Carmen ne seront pas décrites ici en détail, car le protocole de ces expériences, écrit par moi immédiatement après la séance, serait d’une lecture vraiment trop pénible et fastidieuse. Il me suffira de mettre en lumière méthodiquement quelques faits essentiels ; ceux qui me paraissent avoir le plus d’importance.
J’ai dit plus haut qu’on ne peut absolument pas supposer la présence d’un individu caché, ni d’un individu s’introduisant dans la pièce, pour expliquer la présence de personnage nouveau apparaissant à côté des médiums.
J’établirai d’abord que ce personnage n’est ni une image reflété sur un miroir, ni une poupée, ni un mannequin. En effet il possède tous les attributs de la vie. Je l’ai vu sortir du cabinet, marcher, aller et venir dans la pièce. J’ai entendu le bruit de ses pas, sa respiration et sa voix. J’ai touché sa main à diverses reprises. Cette main était articulée, chaude, mobile. J’ai pu, à travers la draperie dont cette main était recouverte, sentir le poignet, les os du carpe et du métacarpe qui pliaient sous la pression de ma poignée de main.
Ainsi la seule fraude possible – et il est absolument impossible d’en supposer une autre – c’est que soit disant fantôme est le médium déguisé ! Pour des raisons que je donnerai plus loin avec détail, je considère cette hypothèse comme extrêmement difficile, ou, pour mieux dire, comme impossible à admettre. Mais, avant d’établir cette discussion, je rapporterai tout au long l’expérience suivant qui prouve nettement que le fantôme, ou la forme qui était devant nous, possède quelques uns des attributs essentiels de la vie.
Le vendredi 1er septembre, Marthe et Aischa vont s’asseoir derrière le rideau ; devant le rideau se trouvent les assistants habituels : M. Noël, Mme Noël, G.D., Paulette, B., Ch. R.,
Melle X., Maia B. J’avais préparé un flacon contenant de l’eau de baryte, limpide, et disposé de telle sorte qu’en soufflant dans un tube de caoutchouc, on pouvait faire barboter l’air expiré dans l’eau de baryte. Après divers phénomènes, sur le desquels je n’insiste pas B.B. (c’est le nom par lequel se désigne lui même le fantôme) demande à faire l’expérience de la baryte.
A ce moment il se penche en dehors du rideau, et je distingue nettement par la fente du rideau, et je distingue nettement par la fente du rideau Aischa, assise très loin de B.B., et Marthe, dont je ne vois pas bien la figure ; mais je reconnais sa robe, la chemisette de son corsage, et ses mains. G. Delanne, qui était plus près de moi, assure qu’il voit la figure.
Alors B.B. se penche en dehors du rideau. Le général prend de mes mains le tube de baryte et le donne à B.B. qui essaye de souffler, en se penchant un peu en avant du rideau, à gauche. Pendant ce temps, je vois très bien toute la forme de Marthe, qui est placée en arrière et à gauche de B.B. ; Aischa est toujours immobile et très loin. G. Delanne me faire remarquer à haute voix qu’on distingue Marthe tout entière, et, comme le point capital de l’expérience est précisément dans la vue complète de Marthe, toute mon attention est portée sur elle. Cependant j’entends B.B. qui essaye de souffler dans le tube ; mais il souffle mal, et sa respiration ne passant pas à travers le tube, mais passant au dehors, ne fait pas de barbotage.
B.B. fait de vains efforts, et on entend son souffle. Alors le général lui explique qu’il faut faire glouglou, ce qui n’arrive que si l’on fait passer l’air expiré par le tube. Alors enfin B.B. réussit à faire glouglou. Il souffle avec force, j’entends le barbotage qui dure environ une demi minute : puis B.B. fait signe de la tête qu’il est fatigué, et qu’il ne peut plus continuer. Alors il me passe le tube à baryte : je constate que le liquide est devenu tout blanc ».
Je tiens à faire remarquer : 1er que je n’ai pas quitté le tube des yeux, et qu’il est sorti de ma main pour aller entre les mains du général et de B.B. ; puis, que j’ai vu tout le temps le tube près de la bouche de B.B. pendant que les gaz de l’expiration barbotaient dans l’eau de baryte, et qu’aussitôt après il y avait du carbonate de baryte, comme je l’ai constaté à la suffisant lumière de la chambre, sans que le tube à baryte aient quitté mes yeux ; 2ème qu’à divers reprises j’ai pu voir derrière B.B. la forme de Marthe ; ses mains très certainement, sa figure par intervalles seulement, car, en se penchant en avant B.B. me la masquait. En tous cas, je ne pouvais voir que vaguement la forme de sa figure car l’obscurité était trop grande pour qu’on pût reconnaître ses traits.
A la suite de cette extraordinaire et émouvante expérience, il s’est passé un incident, plutôt comique ; car les choses comiques se mêlent imprudemment aux choses graves. Après que les personnes présentes eurent constaté qu’il y avait de l’acide carbonique, elles furent tellement enthousiasmées, qu’elles applaudirent en disant : Bravo. Alors B.B. qui avait aussitôt disparu derrière le rideau, reparut à trois reprises en montrant sa tête et saluant, ainsi qu’un acteur qui revient sur la scène, rappelé par l’applaudissement de l’assistance.
J’insiste sur ce fait que, pendant que B.B. soufflait dans le tube, M. Delanne me faisait remarque à haute voix qu’on distinguait parfaitement derrière B.B. la forme de Marthe, et il a fait cette remarque à trois reprise différentes, pendant tout le temps que B.B. soufflait.
Ainsi il est parfaitement évident que B.B. possède les essentiels attributs de la vie. Il marche, parle, se meut, respire comme un être humain. Son corps est résistant ; il a une certaine force musculaire. Ce n’est ni un mannequin, ni une poupée, ni une image réfléchie par un miroir : et il y a lieu de laisser résolument de côté toute supposition autre que l’une ou l’autre des ces deux hypothèses : ou un fantôme ayant les attributs de la vie, ou une personne vivante jouant le rôle de fantôme.
Le phénomène suivant m’a paru d’une importance primordiale.
L’expérience fut faite dans les mêmes conditions que les autres, à cela près que Mlle X n’était pas présente. (Mardi 29 août. C’est ce jour là que le photographe I a été prise). Après la photographie prise, le rideau se referme. Soit ACB le triangle représentant le cabinet où sont assises Marthe en M et Aischa en N. Soit AB le rideau, avec une ouverture en O, par où peut sortir et rentrer la forme de B.B.
B.B. commence par apparaître dans l’ouverture du rideau, puis il rentre. Mais à peine B.B. est-il rentré en O ; que je vois, sans que le rideau se déplace, une lueur blanche en X, sur le sol, en dehors du rideau, entre la table et le rideau. Je me lève à demi pour regarder par dessus la table. « Je vois comme une boule blanche, lumineuse, qui flotte sur le sol ; et dont les contours sont indécis.
Puis, par transformation de cette luminosité blanchâtre, s’élevant tout droit, très rapidement, comme sortant d’une trappe, paraît B.B. de pas très grande taille, à ce qu’il me semble. Il a une draperie, et je coirs, comme un cafetan avec une ceinture à la taille. Il se trouve alors placé entre la table et le rideau, étant é, pour ainsi dire, du plancher, en dehors du rideau (qui n’a pas bougé). Le rideau tout le long de l’angle B est cloué au mur, de sorte qu’un individu vivant, pour sortir du cabinet par là, n’eût d’autre moyen que de ramper sur le sol et de passer sur le rideau.
Mais l’issue a été subite, et la tâche lumineuse sur le plancher a précédé l’apparition de B.B. en dehors du rideau, et il s’est élevé tout droit (en développant rapidement sa forme d’une manière rectiligne). Alors B.B. cherche à venir, à ce qu’il me paraît, parmi nous, mais il a une démarche claudicante, hésitante. Je ne saurais dire s’il marche ou il glisse.
A un moment il chancelle, comme s’il allait tomber, en claudiquant avec une jambe qu’il semble ne plus pouvoir soutenir (je donne mon impression). Puis il va vers la fente du rideau. Alors, sans ouvrir, à ce que je crois, le rideau, tout à coup il s’affaisse, disparaît à terre, et en même temps on entend un bruit de clac clac, comme le bruit d’un corps qui se jette par terre.
Très peu de temps après (deux, trois ou quatre minutes), aux pieds mêmes du général, dans la fente du rideau, on voit encore la même boule blanche (sa tête ?) apparaître au ras du sol ; puis un corps se forme, qui remonte rapidement tout droit, se dresse, atteint une hauteur d’homme, puis soudain s’affaisse sur le sol, avec le même bruit clac clac d’un corps qui tombe sur le sol. Le général a senti le choc des membres, qui, se jetant sur le sol, ont heurté sa jambe avec violence. »
Il me paraît bien que cette expérience est décisive ; car la formation d’une tâche lumineuse sur le sol, laquelle se change ensuite en un être marchant et vivant, ne peut être, semble t il, obtenue par aucun truc. Supposer que c’est en se glissant sous le rideau, puis en se relevant, que Marthe, déguisée en B.B., a pu donner l’apparence d’une tache blanche s’élevant en droite ligne, cela me semble impossible.
D’autant plus que le lendemain, peut être pour me montrer la différence ( ?), B.B. a apparu encore devant le rideau. Mais il n’est pas venu par l’ouverture O du rideau ; il est arrivé en soulevant le rideau, derrière lequel il s’était formé et en se mettant, comme on dit, à quatre pattes, puis en se redressant. Il n’y avait aucune analogie possible entre ces deux modes de formation.
Plusieurs fois par exemple le 24 août trois fois, je l’ai vu s’enfoncer dans le sol tout droit : « il se rapetisse tout d’un coup, et sous nos yeux disparaît dans le sol ; puis se relève soudain en ligne verticale. C’est la tête avec le turban et la moustache noire, et comme l’indication des yeux, qui grandit, remonte, remonte jusqu’à atteindre plus haut même que le rebord du baldaquin.
A certains moments, il est forcé de se pencher et de se courber, à cause de cette grande taille qu’il a prise. Alors soudain sa tête baisse, baisse jusques au sol, et disparaît. Il a fait cela trois fois de suite. En essayant de comparer ce phénomène à quelque chose, je ne peux mieux trouver pour la production rapide et rectiligne du personnage que les marionnettes qui sont dans les boites à surprise, et qui sortent tout d’un coup.
Mais je connais rien qui ressemble à cet évanouissement dans le sol en ligne droite, de sorte qu’à un moment donné il semble que la tête soit seule sur le sol et qu’il n’y ait plus le corps ».
Quelque importante que soit cette dernière expérience, trois fois répétée, elle me paraît moins décisive que l’expérience précédente, la naissance par une table blanche sur le sol en dehors du rideau ; en effet, dans le cas du corps s’affaissant en ligne droite sur le sol, on peut supposer que par d’extraordinaire efforts de gymnastique habile, quelqu’un de très souple, en se disloquant, pourra se reculer en arrière, tout en laissant la tête se baisser en avant jusqu’à atteindre le sol, de manière à donner l’impression d’une tête qui descend en droite ligne jusqu’à terre.
Mais comment faire disparaître l’apparence de la draperie ?
Il eut été pour moi d’une importance considérable de sentir la main, ou le corps, ou une portion quelconque de la draperie, fondre dans ma main. Je dois dire que j’ai vraiment à diverses reprises, demandé avec instance cette expérience. B.B. a bien promis de me la donner ; mais je n’ai rien, absolument rien de semblable.
Cependant le fait de se former et de disparaître ainsi permet de supposer que cela n’est pas impossible. S’il en était ainsi, ce serait, à n’en pas douter, une expérience décisive ; car l’hypothèse d’une hallucination ou même d’une illusion tactile de ma part est bien vraiment ridicule.
En tout cas, il reste ceci, qui est d’une valeur considérable ; c’est qu’il s’est formé un corps vivant, en dehors du rideau, sous mes yeux, sortant du sol et rentrant dans le sol.
J’étais tellement persuadé que ce corps vivant ne pouvait provenir du rideau que j’ai d’abord supposé la possibilité (absurde d’ailleurs) d’une trappe. J’ai, le lendemain de cette expérience du 29 août, examiné minutieusement les dalles et la remise écurie qui est sous jacente à cette partie du kiosque.
Le plafond très élevé de cette écurie est crépi à la chaux, tapissé de toile d’araignée, et hanté par des araignées qu’on n’avait pas dérangées depuis longtemps, lorsqu’à l’aide d’une échelle, j’ai exploré le plafond de l’écurie.
Maintenant je laisse de côté d’autres faits, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir quand je discuterai la réalité de ces phénomènes, et j’arrive aux photographies.
– continue –
Bibliographie
Auteur Dr. Charles Richet.