Congrès de Bruxelles.
Au congrès spirite universel qui se tint à Bruxelles, du 14 au 18 mai 1910, Léon Denis fut convié simplement à titre de délégué de la France et du Brésil. Mais le président, M. le chevalier le Clément de St. Marcq tint à le saluer, dès la séance d’ouverture (1).
« J’adresse, dit-il, nos souhaits de bienvenue à la délégation de France, si nombreuse et en même temps si bien composée. Je suis particulièrement flatté de citer en tout premier lieu, parmi ceux que nous sommes heureux de voir aujourd’hui, M. Léon Denis, l’illustre écrivain spirite qui a tant fait par ses œuvres pour la propagation de notre doctrine. Je profite de l’occasion pour lui adresser ici le témoignage de notre admiration pour ses travaux, pour lui dire combien il nous a aidés dans nos études et partant, tout le bien que j’ai moi-même éprouvé, et dont la propagande spirite, clans notre propre pays, s’est si souvent ressentie. »
Léon Denis remercia dans une improvisation charmante jaillie de son cœur d’apôtre, en exprimant familièrement des vues neuves, profondes et originales sur les questions mises à l’étude. Il fut surtout question de magnétisme, de science psychique et psychosique, à Bruxelles (2). Le Kardecisme y fut bien un peu laissé dans la pénombre. On s’occupa, il est vrai, du sentiment, dans le spiritisme, mais de façon timide.
Toutefois la question de l’enseignement, le rôle éducateur de la femme, y furent amorcés avec une certaine ampleur. L’organisation du spiritisme, si défectueuse encore, le problème de la médiumnité, surtout de l’expérimentation, y retinrent l’attention générale. La majeure partie des vœux émis en séances se rattachèrent à cette importante question. Léon Denis, pour sa part, y faisait admettre les points suivants.
« Le Congrès spirite international de Bruxelles, émit des fraudes nombreuses qui se produisent au cours des séances obscures données par des médiums professionnels ; ému du préjudice moral qu’elles causent à notre doctrine :
Invite les groupes d’études et les expérimentateurs qui recherchent les faits physiques, les apports et les phénomènes de matérialisation, à n’utiliser les séances obscures ou en demi-lumière que dans des conditions de rigoureux contrôle ;
Ces conditions seront ultérieurement fixées par le Comité National ;
Le Congrès adresse, en outre, un chaleureux et pressant appel aux médiums honnêtes et désintéressés. Il leur demande de redoubler de zèle pour le service d’une vérité sacrée, vérité compromise par des simulateurs éhontés qui ne craignent pas d’assumer les plus lourdes responsabilités et préparent d’amères déceptions dans l’Au-delà. Il leur rappelle que si la fourberie entraîne une juste et sévère réprobation, par contre, le dévouement et la sincérité leur mériteront l’estime et la reconnaissance de tous les spirites et l’assistance des hautes intelligences invisibles qui veillent au progrès de nos croyances dans le monde. »
Le 17 mai, à la séance du soir, Léon Denis prononça un de ses plus remarquables discours : « la Mission du XXème siècle ».
De ce beau morceau d’éloquence, nous trouvons un écho enthousiaste dans la Revue Spirite du 19 juin, après que l’orateur eût traité le même sujet, salle des Agriculteurs, rue d’Athènes, devant un nombreux public.
« Malgré la redoutable concurrence d’un soleil radieux, dit le compte-rendu, d’autant plus prometteur de joies estivales que sa venue était, depuis longtemps en vain espérée, la conférence du 19 juin fut un succès inoubliable.
Ceux qui ont eu le bonheur d’entendre le prestigieux orateur se souviendront toujours de cette admirable fête de l’âme où l’apôtre du spiritisme, en une langue superbe, a, sur les ailes de son éloquence inspirée, enlevé son auditoire jusqu’aux plus hautes cimes de la pensée humaine.
La foule accourue pour l’entendre, contenue à grande peine dans la salle de la rue d’Athènes, foule où se coudoyaient en un pêle-mêle véritablement égalitaire, toutes les classes de la société, magistrats, avocats, médecins, artistes, etc… vibrait sous la parole du Maître, mélodieux écho des harmonies de l’Au-delà, comme le stradivarius sous l’archet d’un Paganini.
Les grandes Entités, qui, de toutes parts, accourent donner aux hommes des preuves de leur existence et de leur attachement, ont pris la direction du formidable mouvement qui se prépare ; les manifestations du monde invisible se multiplient partout, et nous assistons aux premières oscillations du balancier qui doit faire la frappe des aspects nouveaux.
Pendant une heure et demie, Léon Denis développa ce thème et avec quelles envolées, quelle magnificence de langage, quelle abondance d’images saisissantes ! Toute l’assistance, suspendue aux lèvres de l’orateur, comme oppressée par la beauté et l’élévation de son verbe inspiré, débordait d’enthousiasme et soulignait par des bravos frénétiques la profonde impression qu’elle ressentait (3) ».
La carrière du propagandiste prenait fin sur ce brillant succès. Léon Denis avait soixante-quatre ans. Rappelons que son premier discours date de 1873.
La grande Enigme.
Peu de temps après, paraissait son dernier né « La Grande Enigme ; Dieu et l’Univers, suivi de la loi circulaire, les âges de la vie ; la mission du xx° siècle.»
« Depuis Lucrèce, que d’ambitieux se proposent de libérer nos âmes de la tyrannie des préjugés et de l’angoisse atavique du Ténare ! Ceux-ci préconisèrent les ivresses métaphysiques et ceux-là la sonorité des formules incantatoires. M. Léon Denis a sa recette. Elle est efficace et antique. C’est la bonté, c’est l’amour.
On pourrait sourire de cette métaphysique passionnée si la vie de M. Léon Denis n’offrait elle-même l’illustration la plus éclatante de cette chaleureuse et stoïcienne doctrine. Parmi les Pascal inquiets que hante l’insoluble solution de la Grande Enigme, M. Léon Denis a, toute la ferveur hautaine d’un Bossuet et la persuasion doucement obstinée d’un Fénelon ».
C’est dans ces termes que M. J.-J. Brousson présentait l’ouvrage dans le Matin du 14 juillet 1911.
Recette antique, certes et bien faite pour provoquer le sourire des sceptiques, mais comme cela importait peu à notre bon philosophe.
« Dieu et l’Univers… Où et comment ai-je songé à écrire ce livre ?
C’était un soir d’hiver, un soir de promenade sur la côte azurée de Provence. Le soleil se couchait sur la mer paisible, les rayons d’or, glissant sur la vague endormie allumaient des teintes ardentes sur le sommet des roches et des promontoires, tandis que le mince croissant lunaire montait dans le ciel sans nuages. Un grand silence se faisait, enveloppant toutes choses.
Et la voix me dit : « publie un livre que nous t’inspirerons, un petit livre qui résume tout ce que l’âme humaine doit connaître pour s’orienter dans sa voie ; publie un livre qui démontre à tous que la vie humaine n’est pas une chose vaine dont on puisse user avec légèreté, mais une lutte pour la conquête du ciel, une œuvre haute et grave d’édification, de perfectionnement, une œuvre que régissent des lois augustes et équitables au-dessus desquelles plane l’éternelle Justice tempérée par l’Amour ».
Sur cette trame, s’enchaînent les chapitres de ce livre qui est un hymne d’adoration à l’Eternel.
Dieu – l’Univers – le Livre de la nature. Y-a-t-il un but, y a-t-il une loi dans l’Univers ? Si l’intelligence est en l’homme, elle doit se retrouver dans cet univers dont il fait partie intégrante. Qui donc gouverne les mondes si ce n’est la suprême intelligence, Dieu ? Où trouver ailleurs la source des trois éléments : substance, force, intelligence dont l’union constitue la vie universelle ?
Autant de questions que l’auteur va tenter de résoudre.
Mais on ne démontre pas l’existence de Dieu comme un théorème de géométrie : on la conçoit. Quelle est la conception de Léon Denis ?
« Dieu est manifesté par l’univers qui est sa représentation sensible, mais ne se confond pas avec lui. De même qu’en nous l’unité consciente, le moi persiste au milieu des modifications incessantes de la matière corporelle, ainsi au milieu des transformations de l’univers et de l’incessant renouvellement de ses parties, subsiste l’Etre immuable qui est l’âme, la conscience, le moi qui l’anime, lui communique le mouvement et la vie. »
Ce n’est donc pas dans les temples bâtis par les hommes qu’il faut chercher Dieu, mais dans la nature qui est son temple éternel, et par-delà la nature visible, dans l’univers prodigieux que nous révèle l’esprit à mesure qu’il gagne en force et en élévation.
Cet univers, Léon Denis nous en montre l’unité substantielle à la démonstration de quoi tendent les plus récentes hypothèses de la science.
Dans cet univers dont le centre vivant est Dieu, nous nous trouvons « dans le rapport étroit qui relie la cause à l’effet.
« L’Esprit universel se manifeste dans la nature, et l’homme est sur terre la plus haute expression de la nature. La preuve, c’est que de plus en plus, il la domine et l’asservit à ses fins.
Issues de Dieu, toutes les âmes sont sœurs. De la paternité de Dieu découle la fraternité humaine.
En ce sens s’explique la parole que l’apôtre prête au Christ : « vous êtes tous des Dieux ».
Et l’écrivain développe avec sa chaleur accoutumée le thème si beau, de la solidarité, de la communion universelle.
Puis ce sont les harmonies de l’espace qui lui font sentir Dieu. C’est « par la musique, langue divine » qu’avec Pythagore, il prête l’oreille aux célestes concerts.
Il cite l’exemple de Beethoven s’essayant à reproduire, dans un état de ravissement inouï, cette musique divine qui l’enivrait et le transportait.
« Tout nous parle de Dieu, le visible et l’invisible. L’intelligence le discerne, la raison et la conscience le proclament. »
Mais l’homme est surtout capable d’amour et ce qui le caractérise, c’est le sentiment, émané du cœur.
« Le sentiment est un privilège de l’âme. Il y a dans nous comme un retrait intime, comme une source profonde d’où peuvent jaillir des flots de vie, d’amour, de vertu, de lumière ».
C’est à cette source qu’il faut puiser pour concevoir l’Etre suprême.
L’expérimentation psychique enfin, lorsqu’elle est bien conduite, nous mène à Dieu, mais il faut prendre garde à l’esprit d’orgueil. « Dès que l’idée de Dieu s’affaiblit dans une âme, la notion du moi grandit aussitôt ». D’où la nécessité de l’humilité, l’efficacité de la prière. Les hommes modernes ne veulent ni Dieu ni Maître.
« Qu’ils prennent garde, dit-il, que se vérifie trop tôt la parole de Voltaire : « L’athéisme et le fanatisme sont les deux pôles d’un monde de confusion et d’horreur ».
Il n’y a pas d’idéal sans Dieu, puisque Dieu est la perfection réalisée. Et l’auteur reprend une de ses idées familières. Cette action de Dieu, niée par tant d’hommes, lui, la voit se manifester d’une façon permanente dans l’Histoire. On peut suivre à travers les temps – fresque grandiose, – cette poussée de l’humanité vers le bien, vers le mieux, malgré les défaillances, les reculs inévitables, fruits de ses errements, de son état d’infériorité.
Bibliographie
(1) Gaston Luce dans son œuvre « Léon Denis – L’Apôtre du Spiritisme – Sa vie – Son œuvre. »
(2) « Le Lien », février 1912.
(3) Psychose : néologisme employé par les spiritualistes du Fraterniste.