Ces photographies, obtenues à la lumière d’une conflagration soudaine d’un mélange de chlorate de potasse et de magnésium, ont été simultanément prises par Mlle X.., avec un Kodak, par M. Delanne avec un appareil stéréoscopique ; et par moi avec un stéréoscope vérascope Richard ; de sorte que, dans certains cas, il y a eu cinq clichés simultanés pour une seule déflagration du magnésium. Cela exclut toute possibilité de fraude photographique.
D’ailleurs, les épreuves ont été développées par MM. R. et M., constructeurs d’appareils d’optique à Alger, qui ignoraient absolument la nature des négatifs que je leur avais soumis[1].
Sur la photographie I (Kodak) et Ia (stéréoscope Richard) on voit une grande forme entourée d’une draperie blanche, flottant dans l’ouverture du rideau. A gauche se dessine nettement le dos de la chaise sur laquelle est assise Aïcha, avec l’épaule gauche d’Aicha très bien éclairé. On distingue les moindres dessins de la cotonnade rayée dont elle est habillée.
La photographie prise par le kodak est beaucoup plus nette que celle du vérascope. On peut voir que cette draperie est d’une étoffe assez fine et assez transparente pour que derrière transparaisse en une ligne noire verticale l’apparence sombre du rideau. Sous cette fine draperie apparaît la forme du coude, du bras et de la main ; une main très longue, à peine formée, dont les extrémités digitales, comme si elles n’étaient pas recouvertes d’une draperie, semblent se perdre en une sorte de nuage vaporeux, une lueur blanche, à contours indéterminés.
En haut on ne voit pas toute la figure, mais seulement le bas de la figure ; une tête penchée en avant, dont ne se peut voir que le menton très court, caché par une barbe noire épaisse qui recouvre toute la bouche, et au dessus de laquelle ne se distingue que le bout du nez. Malheureusement la photographie s’arrête là, et elle est coupée transversalement par une raie qui ne laisse pas voir du tout les yeux et traverse la figure au ras de l’extrémité inférieure du nez.
Le cou est nu, avec un court ruban ( ?) noir, et les ornements divers, indistincts, qui sont au dessous de la draperie blanche. En bas du fantôme et à sa gauche on distingue une manche qui paraît plus ou moins vide, et quelque chose comme une forme de corsage. L’éclat blanc du fantôme éclairé par le magnésium est tel que la table de bois noir en est illuminée, et on en voit le reflet comme une surface polie. L’ouverture du rideau en est aussi, à une certaine distance, rendue plus lumineuse. Le rideau est d’ailleurs légèrement repoussé et rejeté à gauche.
La stéréoscopie (Ia) ajoute quelques détails intéressants : tout s’y trouve confirmé, notamment la forme nuageuse, indistincte, de la main gauche du fantôme enveloppée de la draperie. Ces nuages qui terminent la main sont en avant du rideau. On remarquera aura la différence de précision entre cette draperie blanche dont on ne distingue pas les contours, et les contours si nets de l’épaule d’Aicha.
La figure de B.B. est très profondément enfoncée dans cette draperie, qui semble former en avant, comme pour la propager ou la cacher, un long couloir, au fond duquel la figure se distingue à peine. Entre la figure et la draperie sont des ornements, des bandeaux, des étoffes, dont on ne distingue pas la nature, mais qui semblent vraiment assez compliqués.
En bas à gauche, une toute petite saillie angulaire révèle la manche de Marthe, qu’on voit placée à un plan très postérieur. Si l’on ne voit que le bout de la manche, c’est parce que l’angle où j’ai pris la photographie vérascopique n’était pas le même angle où a été prise la photographie kodak. Ce qui est remarquable, c’est l’extrême minceur de cette draperie, contrastant avec l’épaisseur relative du voile de B.B. dans les autres photographies.
La photographie II est seulement vérascopique. Elle a été prise le mardi 29, alors que Mlle X., qui prenait la photographie kodak, était absente. On distingue diverses choses intéressantes. Aischa d’abord apparaît, très nettement photographiée.
On voit sa figure noire, ses traits, sa peau à reflets métalliques. Sa tête est renversée en arrière ; et elle regarde, en faisant, sans remuer la tête, converger les yeux de droite, vers B.B. Quant au baldaquin, on le voit en entier car malheureusement la photographie a été prise un peu trop haute. En tout cas chacun pourra ainsi se rendre compte des conditions dans lesquelles l’expérience a eu lieu.
Quant à B.B., on le voit bien au côté droit du rideau. Il a la tête couverte d’une sorte de casque armet, à reflets métalliques : par-dessus ce casque est un turban. Il a, descendant sur les oreilles, une sorte de mentonnière qu’on ne voit bien qu’à droite, qui lui couvre la joue et l’oreille droites, et qui paraît être apposée à la joue au dessous du casque.
Du turban la draperie descend en flottant et en formant une sorte de pendentif. Le bras gauche, dont on ne distingue rien, est enveloppé d’une épaisse draperie qui s’étend vers Marthe qu’il cache complètement. Du reste B.B. nous avait annoncé que, comme Marthe craignait la lumière du magnésium, il prendrait soin de lui cacher les yeux et la figure pendant la photographie.
La draperie qui recouvre le corps retombe droite, et il y a comme de petites bouffettes blanches en houppes à la partie supérieure. Au dessous de ces houppes, garnissant le cou, et formant come une pèlerine, une série d’ornements bizarres dont il est difficile de déterminer la nature.
La figure même de B.B. est assez peu distincte, flou, quand on la compare à la figure nette, accentuée d’Aischa. Le nez est long : les yeux sont peut être ouverts, mais cela est vague. Une très épaisse barbe noire, qui paraît comme collée sur la lèvre supérieure, barre la figure. Cette moustache est retombant masque le menton.
On remarque aussi que les contours de la draperie sont fous, nuageux, vaporeux, et que cette forme indécise contraste curieusement avec la limite précise et sèche des contours du mouchoir que nous avions ms autour de la tête d’Aischa pour la reconnaître facilement dans l’obscurité. De même la forme indécise de B.B. et de sa draperie contraste avec les contours nets du rideau, si nets qu’en un point on peut voir un fil noir qui se détache du rideau effiloché.
J’appellerai encore l’attention sur la forme étrange de la draperie qui est comme suspendue à la main gauche de B.B. C’est comme une sorte de nuage blanc descendant de sa main et recouvrant la tête et le corps de Marthe. En effet, grâce au relief donné par le double cliché, on voit bien le pendentif blanc qui descend du turban placé en avant bras. Le bras se détache nettement du corps, et à la place où serait la main il y a une draperie épaisse qui retombe.
Rien ne ressemble moins à un vêtement ordinaire que ce vêtement composé de trois parties : une robe blanche, avec bouffettes en haut, qui retombe droit sur le corps ; un turban mis sur un casque avec un pendentif tout à fait détaché de la robe et dérivant du turban, et enfin cette masse de draperies blanches qui couvre le poignet et la main de B.B. (qu’on ne voit pas) et qui masque, en descendant sous forme de voile épais, la place où est (ou bien où devrait être) Marthe.
En avant et très en avant du rideau, sur la partie droite, se voit, comme le relief stéréoscopique l’indique, une tache blanche lumineuse ; sorte de tige blanche munie d’une efflorescence. Ce n’est pas une erreur photographique ; car elle se trouve sur les deux clichés. Il est possible que cette tache soit due à une parcelle de magnésium s’étant projetée, lors de l’explosion, en avant de l’objectif.
Mais je ne le pense pas ; car dans les photographies antérieures que Mme Noel m’a montrées, j’ai vu ces tâches fluidiques (effluves ??) qui unissent d’un trait blanchâtre les deux médiums, et qui ont des apparences identiques à celle de nos photographies.
Il est possible d’ailleurs que ces effluves aient impressionné la plaque avant l’éclair du magnésium ; car je prenais soin de laisser l’appareil photographique ouvert, longtemps avant l’éclair. La lumière rouge n’étant pas suffisante pour voiler la plaque, même après une longue exposition.
Les photographies III et III a, et III b sont certainement les meilleures (à part la photographie III a, kodak, qui a été prise alors que l’appareil n’était pas au point). Dans la photographie III, on voit un peu la personne d’Aischa (côté droit), le fauteuil où Aischa est assise, et la robe d’Aischa. Puis, à côté d’elle, Marthe, assise, dont on ne distingue ni la figure, ni les mains, mais dont on voit la robe, le corsage, la ceinture, et le bras gauche se dirigeant vers Aischa. B.B. du côté du rideau est debout.
La figure de B.B. est plus nette que dans la photographie II. Le nez est moins long. Il y a non seulement une moustache, mais peut être aussi une barbe. Le casque heaume est très grand. Il y a des reflets métalliques, de sorte qu’il est vraisemblablement en métal (il est assez intéressant de constater que dans les expériences antérieures, du moins celles auxquelles nous avons assisté, B.B. avait seulement un turban) ; le heaume casque descend presque jusqu’aux yeux, au niveau des sourcils qu’il dépasse, et il est assez élevé pour que sa hauteur dépasse de un tiers environ la distance qui va du sourcil au menton.
On voit cette grande hauteur du casque surmonté à la partie supérieure d’une saillie ronde comme certains vieux casques du moyen âge, dans la photographie IIIa mieux que dans la figure III. Les oreilles sont complètement cachées et invisibles. La draperie revêt le casque et tombe ensuite sur les épaules, et au devant de la poitrine. Cette draperie est en arrière du rideau dont les franges se dessinent sur elle. Au dessous de la tête est la mentonnière qui paraît tombée, et qui pend au devant de la poitrine ; et il y a peut être encore quelques vagues ornements sous le cou. La draperie à la partie supérieure, au côté gauche de la tête, a des franges qui se détachent.
Ces franges se voient bien mieux sur la stéréoscopie III bis. Là aussi on distingue bien l’aspect métallique du heaume, qui fait fortement saillie en avant des yeux. Mais ce qui apparaît en pleine évidence dans cette stéréoscopie, c’est la superposition des plans. Au premier plan la frange du rideau ; au second plan, un peu en arrière, la tête de B.B. et la draperie qui recouvre son turban et tombe droit de la tête, puis à un troisième plan Marthe, séparée très certainement de B.B. par un assez long espace vide.
La draperie dont est couverte B.B. ne retombe pas jusqu’au sol. Elle s’arrête en s’amincissant (comme la pointe d’un châle dont on recouvrirait les épaules). Au bas, entre le rideau et la robe noire de Marthe, on voit deux sortes de bâtons droits blanchâtres servant de sustentation à cet étrange personnage. La draperie est blanche, et paraît évidemment d’un autre tissu, beaucoup plus dense que la draperie de la figure I.
Sur la figure III b on peut voir une singulière apparence de la draperie au point où elle recouvre la tête de Marthe. La elle est tout à fait nuageuse, à un plan postérieur, qui est le même que la tête de Marthe ; de sorte que l’apparence est d’une sorte de colonne nuageuse lumineuse sortant de la tête de Marthe, et la masquant pour former une draperie qui remonte et se confond avec le côté gauche de B.B.
Quant au rideau, c’est à peine s’il tombe, un peu repoussé pas le dos de B.B. Peu de chose à dire des autres personnages. Aïscha est à sa place ordinaire, avec sa peau noire à reflets métalliques, et le mouchoir noué sur sa tête. On reconnaître ses deux mains noires croisées ; on peut constater aussi qu’elle regarde du côté de B.B. Autour de la table on voit près du rideau, de profil perdu, le général Noël, puis Mme Noël, qui se cache les yeux pour ne pas être éblouie par le magnésium, puis M. Delanne prenant une photographie.
Quand à Marthe, dont la présence est si importante à constater, on ne voit d’elle ni la tête, ni les mains, ni les pieds. On voit seulement ses vêtements ; mais on les distingue très bien. D’abord le bras gauche, du côté d’Aïscha. Il semble que Marthe ait alors pris Aïscha par le cou, en passant la main, plus ou moins maigre, de Marthe, qui est au devant du cou d’Aïscha.
Mais ce serait une erreur ; car ce qu’on voit au cou d’Aïscha, c’est une sorte de mouchoir qu’elle portait autour de son cou. De sorte que la main de Marthe ne se voit pas. Toutefois la manche paraît vide. Elle a de bizarres flexions, comme si elle avait été accrochée par une épingle au fauteuil d’Aïscha. Pourtant, en regardant de plus près on peut s’assurer que la vacuité n’est pas complète. A part cela, le reste du corps de Marthe est, sous les vêtements qui la couvrent parfaitement normal.
La robe est pleine. On peut deviner qu’en avant il y a des genoux ; et qu’il y a une taille dans la ceinture qui se voit très bien. Le corsage chemisette, avec la guipure en forme de col, n’est évidemment pas très ample ; mais Marthe est assez mince de corsage et de taille pour que cela ne soit pas surprenant et on connaît la mode des chemisettes avec pendentifs qui descendent en avant de la poitrine. Au dessus de la ceinture se voit encore une petite bordure noire qui est la partie supérieure de la robe. On ne voit pas du tout le bras droit de Marthe.
Enfin, si l’on compare entre elles les photographies I, II et III, on constate que la taille de B.B. est bien différente en I d’une part, et en II et III de l’autre. En I, elle est beaucoup plus grande ; la comparaison peut se faire en prenant pour point de repère le haut du fauteuil sur lequel Aïscha était assise.
Bibliographie
Auteur Dr. Charles Richet