DE QUELQUES PHENOMENES DIT DE MATERIALISATION – III.

Ce n’est pas sans grande hésitation que je me suis décidé à publier ces expériences car, encore qu’elles aient été précédées de quelques expériences analogues, dues à divers savants, et en particulier à Sir William Crookes, elles sont assez étranges pour provoquer l’incrédulité. Il me paraît toutefois que certains faits sont indéniables, et ce sont ces faits que je voudrais exposer, en m’abstenant de toute interprétation théorique et de toute discussion.

 

III

Le phénomène suivant m’a paru d’une importance primordiale.
L’expérience fut faite dans les mêmes conditions que les autres, à cela près que Mlle X n’était pas présente. (Mardi 29 août. C’est ce jour là que le photographe I a été prise). Après la photographie prise, le rideau se referme. Soit ACB le triangle représentant le cabinet où sont assises Marthe en M et Aischa en N. Soit AB le rideau, avec une ouverture en O, par où peut sortir et rentrer la forme de B.B.

B.B. commence par apparaître dans l’ouverture du rideau, puis il rentre. Mais à peine B.B. est-il rentré en O ; que je vois, sans que le rideau se déplace, une lueur blanche en X, sur le sol, en dehors du rideau, entre la table et le rideau. Je me lève à demi pour regarder par dessus la table. « Je vois comme une boule blanche, lumineuse, qui flotte sur le sol ; et dont les contours sont indécis. Puis, par transformation de cette luminosité blanchâtre, s’élevant tout droit, très rapidement, comme sortant d’une trappe, paraît B.B. de pas très grande taille, à ce qu’il me semble. Il a une draperie, et je coirs, comme un cafetan avec une ceinture à la taille. Il se trouve alors placé entre la table et le rideau, étant é, pour ainsi dire, du plancher, en dehors du rideau (qui n’a pas bougé). Le rideau tout le long de l’angle B est cloué au mur, de sorte qu’un individu vivant, pour sortir du cabinet par là, n’eût d’autre moyen que de ramper sur le sol et de passer sur le rideau. Mais l’issue a été subite, et la tâche lumineuse sur le plancher a précédé l’apparition de B.B. en dehors du rideau, et il s’est élevé tout droit (en développant rapidement sa forme d’une manière rectiligne). Alors B.B. cherche à venir, à ce qu’il me paraît, parmi nous, mais il a une démarche claudicante, hésitante. Je ne saurais dire s’il marche ou il glisse. A un moment il chancelle, comme s’il allait tomber, en claudiquant avec une jambe qu’il semble ne plus pouvoir soutenir (je donne mon impression). Puis il va vers la fente du rideau. Alors, sans ouvrir, à ce que je crois, le rideau, tout à coup il s’affaisse, disparaît à terre, et en même temps on entend un bruit de clac clac, comme le bruit d’un corps qui se jette par terre. Très peu de temps après (deux, trois ou quatre minutes), aux pieds mêmes du général, dans la fente du rideau, on voit encore la même boule blanche (sa tête ?) apparaître au ras du sol ; puis un corps se forme, qui remonte rapidement tout droit, se dresse, atteint une hauteur d’homme, puis soudain s’affaisse sur le sol, avec le même bruit clac clac d’un corps qui tombe sur le sol. Le général a senti le choc des membres, qui, se jetant sur le sol, ont heurté sa jambe avec violence. »

Il me paraît bien que cette expérience est décisive ; car la formation d’une tâche lumineuse sur le sol, laquelle se change ensuite en un être marchant et vivant, ne peut être, semble t il, obtenue par aucun truc. Supposer que c’est en se glissant sous le rideau, puis en se relevant, que Marthe, déguisée en B.B., a pu donner l’apparence d’une tache blanche s’élevant en droite ligne, cela me semble impossible. D’autant plus que le lendemain, peut être pour me montrer la différence ( ?), B.B. a apparu encore devant le rideau. Mais il n’est pas venu par l’ouverture O du rideau ; il est arrivé en soulevant le rideau, derrière lequel il s’était formé et en se mettant, comme on dit, à quatre pattes, puis en se redressant. Il n’y avait aucune analogie possible entre ces deux modes de formation.

Plusieurs fois par exemple le 24 août trois fois, je l’ai vu s’enfoncer dans le sol tout droit : « il se rapetisse tout d’un coup, et sous nos yeux disparaît dans le sol ; puis se relève soudain en ligne verticale. C’est la tête avec le turban et la moustache noire, et comme l’indication des yeux, qui grandit, remonte, remonte jusqu’à atteindre plus haut même que le rebord du baldaquin. A certains moments, il est forcé de se pencher et de se courber, à cause de cette grande taille qu’il a prise. Alors soudain sa tête baisse, baisse jusques au sol, et disparaît. Il a fait cela trois fois de suite. En essayant de comparer ce phénomène à quelque chose, je ne peux mieux trouver pour la production rapide et rectiligne du personnage que les marionnettes qui sont dans les boites à surprise, et qui sortent tout d’un coup. Mais je connais rien qui ressemble à cet évanouissement dans le sol en ligne droite, de sorte qu’à un moment donné il semble que la tête soit seule sur le sol et qu’il n’y ait plus le corps ».

Quelque importante que soit cette dernière expérience, trois fois répétée, elle me paraît moins décisive que l’expérience précédente, la naissance par une table blanche sur le sol en dehors du rideau ; en effet, dans le cas du corps s’affaissant en ligne droite sur le sol, on peut supposer que par d’extraordinaire efforts de gymnastique habile, quelqu’un de très souple, en se disloquant, pourra se reculer en arrière, tout en laissant la tête se baisser en avant jusqu’à atteindre le sol, de manière à donner l’impression d’une tête qui descend en droite ligne jusqu’à terre. Mais comment faire disparaître l’apparence de la draperie ?

Il eut été pour moi d’une importance considérable de sentir la main, ou le corps, ou une portion quelconque de la draperie, fondre dans ma main. Je dois dire que j’ai vraiment à diverses reprises, demandé avec instance cette expérience. B.B. a bien promis de me la donner ; mais je n’ai rien, absolument rien de semblable. Cependant le fait de se former et de disparaître ainsi permet de supposer que cela n’est pas impossible. S’il en était ainsi, ce serait, à n’en pas douter, une expérience décisive ; car l’hypothèse d’une hallucination ou même d’une illusion tactile de ma part est bien vraiment ridicule.

En tout cas, il reste ceci, qui est d’une valeur considérable ; c’est qu’il s’est formé un corps vivant, en dehors du rideau, sous mes yeux, sortant du sol et rentrant dans le sol.

J’étais tellement persuadé que ce corps vivant ne pouvait provenir du rideau que j’ai d’abord supposé la possibilité (absurde d’ailleurs) d’une trappe. J’ai, le lendemain de cette expérience du 29 août, examiné minutieusement les dalles et la remise écurie qui est sous jacente à cette partie du kiosque. Le plafond très élevé de cette écurie est crépi à la chaux, tapissé de toile d’araignée, et hanté par des araignées qu’on n’avait pas dérangées depuis longtemps, lorsqu’à l’aide d’une échelle, j’ai exploré le plafond de l’écurie.

Maintenant je laisse de côté d’autres faits, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir quand je discuterai la réalité de ces phénomènes, et j’arrive aux photographies.

Les mots entre guillemets sont la reproduction textuelle de mes notes. Les mots soulignés ne sont pas dans mes notes. Je les introduis ici pour rendre intelligible une rédaction écrite fort vite, pour moi même, et souvent obscure.

 


Bibliographie

 

Auteur : Charles Richet dans son œuvre «Quelques phénomènes dit de matérialisation».