Ce n’est pas sans grande hésitation que je me suis décidé à publier ces expériences car, encore qu’elles aient été précédées de quelques expériences analogues, dues à divers savants, et en particulier à Sir William Crookes, elles sont assez étranges pour provoquer l’incrédulité. Il me paraît toutefois que certains faits sont indéniables, et ce sont ces faits que je voudrais exposer, en m’abstenant de toute interprétation théorique et de toute discussion.
II
Les expériences qui ont eu lieu devant moi à la villa Carmen ne seront pas décrites ici en détail, car le protocole de ces expériences, écrit par moi immédiatement après la séance, serait d’une lecture vraiment trop pénible et fastidieuse. Il me suffira de mettre en lumière méthodiquement quelques faits essentiels ; ceux qui me paraissent avoir le plus d’importance.
J’ai dit plus haut qu’on ne peut absolument pas supposer la présence d’un individu caché, ni d’un individu s’introduisant dans la pièce, pour expliquer la présence de personnage nouveau apparaissant à côté des médiums.
J’établirai d’abord que ce personnage n’est ni une image reflété sur un miroir, ni une poupée, ni un mannequin. En effet il possède tous les attributs de la vie. Je l’ai vu sortir du cabinet, marcher, aller et venir dans la pièce. J’ai entendu le bruit de ses pas, sa respiration et sa voix. J’ai touché sa main à diverses reprises. Cette main était articulée, chaude, mobile. J’ai pu, à travers la draperie dont cette main était recouverte, sentir le poignet, les os du carpe et du métacarpe qui pliaient sous la pression de ma poignée de main.
Ainsi la seule fraude possible – et il est absolument impossible d’en supposer une autre – c’est que soit disant fantôme est le médium déguisé ! Pour des raisons que je donnerai plus loin avec détail, je considère cette hypothèse comme extrêmement difficile, ou, pour mieux dire, comme impossible à admettre. Mais, avant d’établir cette discussion, je rapporterai tout au long l’expérience suivant qui prouve nettement que le fantôme, ou la forme qui était devant nous, possède quelques uns des attributs essentiels de la vie.
Le vendredi 1er septembre, Marthe et Aischa vont s’asseoir derrière le rideau ; devant le rideau se trouvent les assistants habituels : M. Noël, Mme Noël, G.D., Paulette, B., Ch. R., Melle X., Maia B. J’avais préparé un flacon contenant de l’eau de baryte, limpide, et disposé de telle sorte qu’en soufflant dans un tube de caoutchouc, on pouvait faire barboter l’air expiré dans l’eau de baryte. Après divers phénomènes, sur le desquels je n’insiste pas B.B. (c’est le nom par lequel se désigne lui même le fantôme) demande à faire l’expérience de la baryte. A ce moment il se penche en dehors du rideau, et je distingue nettement par la fente du rideau, et je distingue nettement par la fente du rideau Aischa, assise très loin de B.B., et Marthe, dont je ne vois pas bien la figure ; mais je reconnais sa robe, la chemisette de son corsage, et ses mains. G. Delanne, qui était plus près de moi, assure qu’il voit la figure.
Alors B.B. se penche en dehors du rideau. Le général prend de mes mains le tube de baryte et le donne à B.B. qui essaye de souffler, en se penchant un peu en avant du rideau, à gauche. Pendant ce temps, je vois très bien toute la forme de Marthe, qui est placée en arrière et à gauche de B.B. ; Aischa est toujours immobile et très loin. G. Delanne me faire remarquer à haute voix qu’on distingue Marthe tout entière, et, comme le point capital de l’expérience est précisément dans la vue complète de Marthe, toute mon attention est portée sur elle. Cependant j’entends B.B. qui essaye de souffler dans le tube ; mais il souffle mal, et sa respiration ne passant pas à travers le tube, mais passant au dehors, ne fait pas de barbotage.
B.B. fait de vains efforts, et on entend son souffle. Alors le général lui explique qu’il faut faire glouglou, ce qui n’arrive que si l’on fait passer l’air expiré par le tube. Alors enfin B.B. réussit à faire glouglou. Il souffle avec force, j’entends le barbotage qui dure environ une demi minute : puis B.B. fait signe de la tête qu’il est fatigué, et qu’il ne peut plus continuer. Alors il me passe le tube à baryte : je constate que le liquide est devenu tout blanc ».
Je tiens à faire remarquer : 1er que je n’ai pas quitté le tube des yeux, et qu’il est sorti de ma main pour aller entre les mains du général et de B.B. ; puis, que j’ai vu tout le temps le tube près de la bouche de B.B. pendant que les gaz de l’expiration barbotaient dans l’eau de baryte, et qu’aussitôt après il y avait du carbonate de baryte, comme je l’ai constaté à la suffisant lumière de la chambre, sans que le tube à baryte aient quitté mes yeux ; 2ème qu’à divers reprises j’ai pu voir derrière B.B. la forme de Marthe ; ses mains très certainement, sa figure par intervalles seulement, car, en se penchant en avant B.B. me la masquait. En tous cas, je ne pouvais voir que vaguement la forme de sa figure car l’obscurité était trop grande pour qu’on pût reconnaître ses traits.
A la suite de cette extraordinaire et émouvante expérience, il s’est passé un incident, plutôt comique ; car les choses comiques se mêlent imprudemment aux choses graves. Après que les personnes présentes eurent constaté qu’il y avait de l’acide carbonique, elles furent tellement enthousiasmées, qu’elles applaudirent en disant : Bravo. Alors B.B. qui avait aussitôt disparu derrière le rideau, reparut à trois reprises en montrant sa tête et saluant, ainsi qu’un acteur qui revient sur la scène, rappelé par l’applaudissement de l’assistance.
J’insiste sur ce fait que, pendant que B.B. soufflait dans le tube, M. Delanne me faisait remarque à haute voix qu’on distinguait parfaitement derrière B.B. la forme de Marthe, et il a fait cette remarque à trois reprise différentes, pendant tout le temps que B.B. soufflait.
Ainsi il est parfaitement évident que B.B. possède les essentiels attributs de la vie. Il marche, parle, se meut, respire comme un être humain. Son corps est résistant ; il a une certaine force musculaire. Ce n’est ni un mannequin, ni une poupée, ni une image réfléchie par un miroir : et il y a lieu de laisser résolument de côté toute supposition autre que l’une ou l’autre des ces deux hypothèses : ou un fantôme ayant les attributs de la vie, ou une personne vivante jouant le rôle de fantôme.
Bibliographie
Auteur : Charles Richet dans son œuvre «Quelques phénomènes dit de matérialisation».