Introduction.
Plus d’un cancer sur six, dans le monde, est d’origine infectieuse. Au total, chaque année 2,2 millions de nouveaux cas de cancers découleraient d’une infection par un agent pathogène. Huit virus, une bactérie et trois parasites ont en effet été classés agents cancérigènes du groupe 1 (agents cancérigènes « certains ») par le Centre International de Recherche sur le Cancer, une division de l’Organisation mondiale de la santé (1).
Les spécialistes ont coutume de dire que les causes du cancer sont multifactorielles : génétiques, environnementales, comportementales. Mais les cancers peuvent aussi être causés par des virus et bactéries qui provoquent des infections. Moins connu, le cancer d’origine infectieuse est pourtant très répandu. Si l’on ne peut pas faire grand-chose contre la génétique, il est en revanche possible d’agir sur les trois autres facteurs.
Or, si le grand public a pris conscience de l’action de l’environnement et de son mode de vie sur la pathologie, l’origine infectieuse est encore sous-estimée et peu prise en compte dans la prévention, affirment des scientifiques du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) de Lyon dans une étude sur le sujet qui vient d’être publiée dans la revue britannique « Lancet Oncology ».
Parmi eux, le virus de l’hépatite B et celui de l’hépatite C peuvent conduire à des infections chroniques et au cancer du foie, et sont responsables de plus d’un million de décès annuels. La bactérie Helicobacter pylori est, elle, en cause dans la majorité des cas de cancer de l’estomac, deuxième cause de mortalité par cancer dans le monde. L’infection par certains papillomavirus est à l’origine des cancers du col de l’utérus – quatrième cause de mortalité par cancer chez les femmes.
Le virus du sida est également classé cancérigène car l’immunodéficience qu’il déclenche conduit à un risque accru de cancers.
Helicobacter pylori : Des cibles thérapeutiques aux marques du cancer de l’estomac.
« Helicobacter pylori est la seule bactérie capable de se multiplier dans les conditions d’acidité de l’estomac. Elle infecte 50% de la population mondiale, à risques d’ulcères gastro-duodénaux, de gastrites chroniques, et, dans 1 à 3% des cas, de cancers de l’estomac » indique Hilde De Reuse, responsable de l’unité de Pathogenèse de Helicobacter à l’Institut Pasteur. « Nous cherchons à comprendre les mécanismes moléculaires qui permettent à Helicobacter pylori de survivre dans l’environnement hostile de l’estomac, et de s’y maintenir des années en y provoquant des lésions.
En décryptant ces mécanismes, nous avons trouvé de nouvelles cibles thérapeutiques, notamment un transporteur de nickel indispensable à l’activité de l’uréase, une enzyme essentielle à la bactérie pour coloniser l’estomac. « Découvrir des cibles pour de futurs médicaments est aujourd’hui crucial car si un traitement à base d’antibiotiques permet d’éradiquer la bactérie chez la majorité des personnes infectées, son efficacité est grandement menacée par l’antibiorésistance croissante de H. pylori.
Dans le même laboratoire, d’autres avancées laissent espérer un diagnostic précoce du cancer de l’estomac, responsable de 800.000 morts par an dans le monde. « Nous étudions les facteurs de l’hôte associés à la pathogenèse de l’infection », explique Eliette Touati. « Grâce à des collaborations dans le Réseau International des Instituts Pasteur, nous avons pu analyser un grand nombre de patients atteints de gastrites et de cancers de l’estomac.
Nous avons ainsi identifié deux « biomarqueurs » potentiels, détectables dans le sang. Notre objectif vise à combiner plusieurs biomarqueurs qui signeraient une phase très précoce du cancer de l’estomac, pour pouvoir identifier les personnes à risque. » Ceci permettrait de les traiter précocement par antibiotiques pour éradiquer l’infection par H. pylori et espérer ainsi stopper l’évolution du cancer, mais aussi d’augmenter les chances de guérison des patients ayant déjà des lésions cancéreuses.
Un parasite, premier suspect historique.
Les suspicions autour de l’implication d’agents infectieux dans des cancers commencèrent dès la fin du XIXème siècle et concernèrent alors des parasites, notamment l’agent de la bilharzioze, qui sévit dans les régions tropicales et subtropicales. L’infection chronique par ce parasite peut conduire au cancer de la vessie, mais il fallut 50 ans pour que les preuves de son implication émergent.
Aujourd’hui, il est établi que trois parasites peuvent être à l’origine de cancers : celui de la bilharzioze donc, et deux autres vers parasites, l’un endémique dans certains pays d’Asie du Sud’Est (Thaïlande, Laos, Vietnam, Cambodge…) et l’autre en Extrême-Orient, tous deux associés à des cancers de la vésicule et des voies biliaires.
Epstein-Barr : le premier virus impliqué.
La deuxième grande étape dans l’histoire des cancers d’origine infectieuse débute en 1958 : un chirurgien britannique, Denis Burkitt, décrit un lymphome touchant les enfants en Afrique Equatoriale (nommé depuis « lymphome de Burkitt ») et émet l’hypothèse d’une origine infectieuse de ce cancer. En 1964, son compatriote Michael Epstein découvre des particules virales dans des cellules cultivées à partir de ces lymphomes.
Il fut démontré au début des années 70 que le virus « d’Epstein-Barr » était bien à l’origine du lymphome de Burkitt. Présent chez la majorité des individus, heureusement le plus souvent sans conséquences, ce virus est également associé à un cancer du rhino-pharynx. C’est le tout premier virus qui fut formellement impliqué dans la survenue de cancers humains.
Les principaux agents infectieux.
Les agents infectieux seraient responsables de 16 % des cancers dans le monde, la plupart se produisant dans les pays en développement. Pour les pays dits « développés », 7 % des cancers seraient causés par des agents infectieux et, selon une étude spécifique à la France, 3,3 % des cancers diagnostiqués en 2000 y seraient dus (1).
Les principaux agents en cause sont :
– les papillomavirus humains (HPV), associés au développement de cancers de la zone anogénitale : cancers du col de l’utérus, de l’anus, du pénis et de la cavité orale (en particulier de loropharynx) ;
– les virus des hépatites B et C, (VHB-VHC), associés à la survenue de cancers du foie (hépato-carcinome) et de lymphomes non hodgkiniens ;
– la bactérie Helicobacter pylori, responsable d’au moins 80% des cancers de l’estomac et des lymphomes gastriques non hodgkiniens (MALT et DLBC). Cette infection s’acquiert pendant l’enfance et toucherait en France 20 à 50% de la population. Toutefois, elle n’induit un cancer que dans environ 1% des cas. Mais le risque de cancer est majoré chez les proches (enfants, frères/sœurs, parents) d’un patient ayant eu un cancer de l’estomac ;
– le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), augmente fortement les risques de sarcome de Kaposi et de cancer du col de l’utérus. L’infection par le VIH apparait aujourd’hui également associée à un accroissement du risque de plusieurs autres cancers : lymphomes malins hodgkiniens et non-hodgkiniens, cancers de l’anus, de la peau, du poumon, du foie…
– le virus d’Epstein-Barr (EBV), à l’origine de lymphomes de Burkitt, de lymphomes hodgkiniens et non-hodgkiniens, de cancers du nasopharynx.
Bibliographie
(1) – Article publié dans la « Lettre de l’Institut Pasteur » n° 97 de mai 2017.