« Ce qui démontre, de façon éclatante, l’intervention de Dieu dans l’Histoire, c’est l’apparition, aux temps voulus, aux heures solennelles, de ces grands missionnaires qui viennent tendre la main aux hommes et les remettre dans la voie perdue, en leur enseignant la loi morale, l’amour de leurs semblables, en leur donnant le gland exemple du sacrifice de soi pour la cause de tous…
En vain se dressent autour d’eux les gibets, les échafauds. Les bûchers s’allument. Ils vont le front haut, l’âme sereine. Quel est donc le secret de leur force ? Qui donc les pousse ainsi en avant, si ce n’est la main de Dieu. »
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à la nature. Dans les spectacles sublimes du ciel étoilé, de la Mer, de la Forêt, de la Montagne, l’auteur reconnaît le sceau divin, il déchiffre le mot de l’énigme, il entend la suprême leçon que le Créateur donne à la créature : aimer. Il découvre le secret de la véritable poésie de la vie, faite de la résonance intime en nos pensées, en nos sentiments, de l’harmonie suprême du Cosmos (1).
Alors son chant devient un hymne, un hosanna éperdu, une élévation sereine. Son cœur déborde de joie et de son âme jaillit spontanément la prière, qui n’est point un balbutiement mécanique, mais vraiment une projection de l’être vers Dieu, sa source et sa fin.
La troisième partie a trait à la loi circulaire, aux palingénésies et à la mission du xx° siècle. Une synthèse doctrinale et pratique sous forme de questionnaire, un catéchisme spirite en quelque sorte, que précédaient des notes complémentaires très captivantes, terminaient ce bon et beau livre, vraiment inspiré, où la pensée du Maître, sans cesser d’être ferme sur sa base, atteint sans effort à la poésie la plus riche et la plus intense.
Le Journal des Débats rendait compte de l’ouvrage, en ces termes :
« Dans ce livre d’une rare élévation d’âme et de sentiments, M. Léon Denis propose une noble et séduisante explication de la destinée humaine. C’est un esprit plein de hautes aspirations qu’il exprime avec éloquence. Sa doctrine largement spiritualiste est exposée avec beaucoup de poésie. Nous ne discuterons pas sa thèse. Il nous suffit de signaler un livre généreux, élevé et sincère ». « Il faut se contenter de répéter ce que nous avons proclamé à chaque page lue : rien de plus vrai ! rien de plus beau ! rien de meilleur ! »
Cette appréciation flatteuse du Colonel Collet résume admirablement l’impression que recueille tout lecteur de bonne foi en méditant ces pages.
Les brochures de défense.
Le succès considérable obtenu par la brochure de début : Pourquoi la vie, avait engagé son auteur à continuer la propagande sous cette forme éminemment pratique et peu coûteuse pour le lecteur. Le titre éveille la curiosité ; la modicité du prix engage à faire d’emblée l’achat d’une semblable publication.
La Grande Enigme fut donc suivi d’une mince plaquette à couverture rose d’une trentaine de pages, contenant la « Réponse d’un vieux spirite à un Docteur ès-Lettres de Lyon ». Une offensive de grand style était menée contre « l’hérésie nouvelle » par le clergé catholique. Au moyen du prêche, de la conférence, d’écrits dans les feuilles bien pensantes, on essayait d’atteindre par tous les moyens la doctrine gênante et honnie.
Une diatribe violente venant d’être publiée à Lyon contre le spiritisme ; la riposte ne se fit pas attendre.
Le vieux spirite, on le devine, était Léon Denis.
Ces poussées de mauvaise humeur, par cela même qu’elles se manifestaient sur divers points simultanément, ne semblaient pas spontanées.
« On dirait qu’un mot d’ordre a été donné et que certains ont reçu ou se sont arrogés la mission de travestir l’opinion et la conscience publique à notre sujet. Sa brochure (au Dr ès Lettres), alerte et facile à lire, a le tort – disait le vieux spirite – de n’être qu’une compilation éclectique et hâtive, composée des morceaux découpés çà et là dans des revues ou des brochures plus ou moins sérieuses, et eu outre agrémentées d’histoires saugrenues que l’on dirait copiées dans les almanachs de colporteurs ou dans les faits divers de journaux facétieux. »
On essayait, à cette époque, d’atteindre le spiritisme par le ridicule. Le factum était contre signé du Cardinal-archevêque de Lyon. Il pouvait se résumer ainsi : Satan est l’âme du spiritisme et tous les spirites ont le diable au corps, — thème connu. Léon Denis n’avait pas de peine à établir l’inanité de ces dires ; il publiait, en regard, le Credo spirite qui n’est pas si loin du Credo de l’Eglise qu’elle ne veut l’avouer.
Suivant pas à pas les assertions de son adversaire, le « Vieux spirite » faisait justice de ses affirmations gratuites, de ses erreurs voulues. Celui-ci prétendait démontrer que les phénomènes du spiritisme n’ont aucune cause naturelle ou scientifique. L’Eglise, depuis lors, a fait des concessions. Les témoignages du monde savant, à cette date, s’inscrivaient déjà avec force contre une telle manière de voir. Le Docteur ès-lettres ayant cité un texte de St-Thomas d’Aquin, Léon Denis s’en faisait un solide argument.
« Quand les morts apparaissent — dit le Docteur angélique, ce sont leur simulacre, leur fantôme mis en mouvement par des esprits ou formés dans la pensée du voyant ». Mais toute la doctrine spirite est contenue dans ces quelques mots. Et il mettait son contradicteur en posture assez piteuse en lui opposant ce passage typique de Mgr Chollet, évêque de Verdun, écrivant dans
Le Contribution de l’occultisme à l’anthropologie :
« Nous pensons qu’il ne faut pas admettre facilement l’action des démons dans les faits d’occultisme et que si cette action s’y exerce, elle ne le fait que très rarement ».
Et finement, le vieux spirite ajoutait :
« La vérité est que d’excellents catholiques, dans toutes les classes de la société, sont spirites. On rencontre nombre de prêtres, de religieux qui étudient cette science, assistent à des réunions et témoignent hautement de leur sympathie pour la doctrine. »
Et il citait des prélats illustres : le Cardinal Brossais St-Marc, le Cardinal Perraud, Lacordaire, le père Didon, qui s’intéressaient à cette croyance et se livraient au spiritualisme expérimental. Et il concluait ainsi, après avoir démontré que les livres sacrés, les écrits des Pères de l’Eglise, la vie des saints relèvent du spiritisme pur :
« Les théologiens futurs seront bien aise de recourir à nos découvertes pour étayer le spiritualisme croulant des Eglises et réfuter les doctrines matérialistes ; c’est dans notre arsenal qu’ils puiseront les éléments d’un nouveau « rien » théologique au xx° siècle.
Sans doute, un catholique ignorant, routinier et timoré n’acceptera pas cela ; mais un chrétien instruit, averti, prédisposé par sa culture intellectuelle et morale aux révélations de l’invisible et de ses lois, loin de voir dans le spiritisme un ennemi de sa croyance, y trouvera le complément rationnel et nécessaire de sa foi, l’obséquium rationabile, dont parle saint Paul (2) ».
Il ajoutait ces lignes courageuses et qui situent une fois pour toutes, la doctrine kardéciste.
« Les religions à leur déclin s’inquiètent ; elles redoutent que le spiritisme cherche à les supplanter ; les princes de l’Eglise se troublent. C’est à tort. Nous ne songeons nullement à fonder un nouvel Evangile, persuadés que celui de Jésus nous suffit. Nous sommes une science et une foi.
Comme foi, nous appartenons au christianisme, non pas, il est vrai, à ce christianisme défiguré, rétréci rapetissé par le fanatisme, la bigoterie des cœurs aigris et des petites âmes, mais bien à la religion de Jésus, celle qui adore, qui prie en esprit et en vérité. »
L’année suivante, la campagne reprenait sournoise et tendancieuse. L’assaut était mené par certains journaux de Paris et de province. On n’essayait rien moins que de faire passer les spirites pour des malfaiteurs publics.
Un fonctionnaire s’étant suicidé à Laval, on accusa les groupes kardécistes de cette ville d’avoir détraqué le malheureux, alors qu’il s’agissait d’une disgrâce de carrière qu’il n’avait pu surmonter.
« De ce que dans sa bibliothèque on a trouvé un ou deux volumes spirites, on en conclut que c’étaient précisément ces lectures qui l’avaient conduit au suicide. Voilà la logique, voilà l’équité de nos adversaires, écrivait Léon Denis. Il faut ajouter en effet que le suicidé n’avait jamais fréquenté aucun groupe spirite. ».
Le mot d’ordre était parti de Lyon d’abord, puis de Nancy. Mgr Turinaz venait de publier sa « note ». « Une grande partie des doctrines du spiritisme sont opposées à la foi, proférait-il ; quelques-unes sont formellement condamnées par l’Église ; toutes sont dangereuses ».
L’accusation était nette. Il ne s’agissait plus, comme précédemment, d’une dispute de principes. L’Evêque de Nancy précisait, dans sa « note » « que les pratiques du spiritisme troublent l’imagination, frappent les esprits, exaltent la sensibilité nerveuse, et produisent une surexcitation déplorable qui mène parfois à la folie ». Le vieux spirite, à nouveau, engagea le fer, mais, cette fois-ci, le duel devait être plus ardent.
« L’Eglise fera bien d’y retarder à deux fois avant de lancer ses anathèmes contre d’honnêtes gens, bons et loyaux ouvriers de la vérité, qui cherchent seulement à apporter leur modeste contribution à l’édifice intellectuel de l’avenir. Mgr Turinaz ne nous apprend rien, ripostait-il. Les dangers de l’expérimentation ont été signalés dans les principaux ouvrages du Kardécisme.
Mais, ajoutait-il, nous pourrions citer plus d’un cas de folie religieuse, d’hystérie mystique qui ont causé de retentissants scandales… Quand il y a quelques années, une dévote, une habituée de la confession et de la communion assassina, dans des conditions effroyables de lucidité et de préméditation, le savant et pieux abbé de Broglie, l’une des gloires du clergé de France, nous est-il venu à l’idée, nous spirites, d’exploiter contre l’Eglise un pareil forfait ? Et sagement il ajoutait :
Nous savons que l’homme abuse de tout ici-bas, même des choses les plus sacrées. Le spiritisme a ses fraudeurs et ses exaltés, conne la science a ses charlatans, comme la religion a ses imposteurs. »
L’éminent prélat faisait, en plus, allusion dans sa « note », aux supercheries de certains médiums :
« Nous avons été les premiers à les démasquer solennellement, répondait le vieux spirite, au risque de contredire certains admirateurs aveugles et de mécontenter mes meilleurs amis : Amiens Plato, sed magis arnica veritas ! »
Un grand nombre des effets du spiritisme, qui paraissent merveilleux, ont été naturellement expliqués et beaucoup le seront encore, était-il dit dans le message de l’Evêque.
Nous l’espérons bien, répondait le vieux spirite, nous n’avons pas, comme l’Eglise, la prétention de maintenir éternellement la notion du mystère et du miracle. »
Mais vous niez l’Enfer ?
« Non, nous ne le nions pas, nous l’expliquons… Où donc est notre erreur ? En cette notion des réparations dans l’Au-delà, ne nous rencontrons-nous pas avec les deux plus grands génies catholiques : le Dante et St-Thomas d’Aquin ? Quant à la notion de l’enfer, tel que l’enseignent les catéchismes, nous la repoussons comme enfantine, ridicule, odieuse. »
Et Léon Denis citait une page sinistre empruntée au livre de M. Albert Denis sur « Les procès de sorcellerie, à Toul, aux XVI° et XVII° siècles » :
« Nous pourrions multiplier ces citations lamentables — disait-il. Voilà ce que l’Eglise a produit dans le monde avec sa théologie du Diable et son dogme de l’Enfer… Celui du Dante, avec ses passions tragiques et ses supplices grandioses est une conception sublime : mais l’Enfer ridicule que l’Eglise inventa ne fut qu’un Sabbat obscène et idiot. »
Et la névrose satanique régna sur le monde jusqu’à la Révolution. N’est-ce pas à cause d’elle que fut brûlée Jeanne d’Arc, plus tard réhabilitée puis canonisée, rachats tardifs et combien insuffisants de ce crime sans nom. »
Il terminait sa défense par ces lignes qu’un certain nombre de prêtres, qu’il rappelait à plus de mesure et à plus d’humilité ne lui ont jamais pardonné.
« Tout s’expie en ce monde et dans l’autre ; rien ne saurait empêcher la Justice immanente de suivre son cours. L’Histoire est féconde en retours instructifs et sévères et la persécution qui sévit actuellement contre l’Eglise catholique dans le monde n’est après tout que la revanche du Passé. La haine est ordinairement la récolte habituelle de ceux qui n’ont pas semé l’amour. »
Bibliographie
(1) Gaston Luce dans son œuvre « Léon Denis – L’apôtre du Spiritisme – Sa vie – Son œuvre », chap. IV – L’Apostolat.
(2) Dans « Le spiritisme et ses détracteurs catholiques », p. 21 et 22.