Léon Denis – Sa vie, son œuvre – IV.

Rien de ce qui touche à la médiumnité ne pouvait le laisser indifférent, et cette question primordiale n’avait pas de secrets pour lui, La palingénésie, de même, requérait toute son attention. C’était un sujet encore bien controversé. Or, le Dr. Moutin, Président de la Société française d’Etude des Phénomènes psychiques, apportait dans ces débats toute une série d’objections relatives à la thèse réincarnationiste. (1)

Léon Denis, s’appuyant sur les enseignements des vieilles religions de l’Orient et sur les traditions de la sagesse antique confirmés par les instructions du Kardécisme déployait toutes les ressources de sa conviction en faveur d’une thèse qu’il estimait capitale, thèse qu’il n’a pas cessé d’exposer, de reprendre et d’approfondir au cours de tous ses ouvrages.

« Six cent millions d’Asiatiques, aujourd’hui encore, croient en elle, disait-il. Mais si nous acceptons ce principe des vies successives de l’âme, n’allez pas croire que ce soit seulement parce que les esprits l’affirment dans nos séances d’expérimentation. Non ! Si nous l’acceptons, c’est surtout parce qu’elle vient dissiper l’incertitude qui pesait sur la pensée ; c’est parce qu’elle vient faire l’ordre, la lumière, l’harmonie, là où auparavant on n’avait que la confusion, l’obscurité, le chaos ! »

Il examinait ensuite les théories contraires, ne laissant aucune objection sans réponse.

« Vous avez étudié les lois de la vie, disait-il au Dr Moutin, vous avez considéré la succession des âges et la lente évolution des êtres sur notre planète ? Vous avez vu une chose : c’est que partout et en tout, la nature procède avec sagesse, avec méthode et lenteur. Il lui a fallu des siècles nombreux pour façonner la forme humaine. La forme humaine n’est apparue qu’après la longue série des formes animales. 

Eh bien, l’évolution physique et mentale, le progrès matériel et le progrès moral sont régis par des lois identiques et communes. Il ne nous est pas possible d’y satisfaire en une seule vie. Et je vous le demande, pourquoi irions-nous chercher bien loin, sur d’autres mondes, les éléments de nouveaux travaux, de nouveaux progrès, alors que nous les trouvons partout autour de nous ; alors que ces contrastes, que ces oppositions dont nous parlions tout à l’heure, sont eux-mêmes des termes de comparaison, des moyens d’éducation, d’émulation, en ce sens qu’ils forment notre jugement par les leçons qu’ils nous offrent, par les exemples qu’ils nous présentent ! »

Il concluait avec force:

« De toutes nos observations, de nos recherches, de nos études, il résulte une chose : c’est la loi des renaissances qui préside à notre destinée. La loi des renaissances vient expliquer et compléter la notion d’immortalité. L’être progresse ; cela tout le prouve, tout l’affirme. La loi du progrès régit tout l’Univers. 

Mais toute évolution comporte un plan, un but. Le progrès, c’est une échelle et il n’y a pas d’échelle sans degrés. Les renaissances, les réincarnations sont les degrés avec lesquels l’être s’élève et monte. »

Comme au précédent congrès, la doctrine kardéciste avait été mise en cause. Il y avait le clan des phénoménistes, qui se réclamaient avant tout de la science. Ceux-ci contestaient l’utilité des développements philosophiques et ne voulaient s’en rapporter qu’aux faits.

La doctrine de l’Initiateur n’était pas sans subir parfois des atteintes assez brutales, mais le disciple avait tenu à préciser sa propre pensée devant tous.

« Ce qui caractérise aujourd’hui le Spiritisme, c’est le maintien des principes fixés par Allan Kardec et son développement constant par les méthodes expérimentales. Cependant pour nous, le Spiritisme n’est pas tout en Kardec ; le Spiritisme, c’est une doctrine universelle et éternelle qui a été proclamée par toutes les grandes voix du passé sur tous les points de la terre et qui le sera par toutes les grandes voix de l’avenir. »

Les plus grands problèmes furent abordés à ce congrès de 1900, et traités avec une remarquable ampleur.

Une des questions mises à l’étude était celle-ci : « Y a-t-il lieu d’affirmer l’existence de Dieu dans les conclusions du Congrès » ? Disons que le président celui de 1889, avait jugé à propos d’éliminer le mot Dieu des débats.

D’excellents mémoires, de très beaux discours avaient été lus ou prononcés par les orateurs inscrits, chacun apportant, sur ce sujet primordial, ses vues, son sentiment propres.

Léon Denis ne pouvait pas rester en dehors d’un tel débat. Il s’y jeta avec toute l’ardeur et la foi de son âme d’apôtre. Il faudrait citer tout ce discours brûlant, pressant, persuasif, vraiment inspiré.

« Vous ne pouvez pas séparer l’effet de la cause, expliquait-il. Vous ne pouvez pas séparer l’homme de Dieu ! 

Et je dirai plus encore : je dirai : en dehors de Dieu, de l’affirmation de Dieu, il n’y a pas d’humanité. Parce que la notion d’humanité n’est-ce pas ce fait que nous sommes reliés les uns aux autres par un lien puissant, reliés par une identité de nature, d’origine et de fin ? Et tout cela est Dieu, tout cela vient de Dieu. Dieu est le père de l’humanité : nous sommes tous ses enfants et c’est pour cela que nous sommes unis les uns aux autres, à jamais ! »

 

Le congrès de Liège.

 

Au mois de juin 1905, les spiritualistes belges recevaient ą Liège, pour participer ą leurs travaux, ą titre de Président d’honneur, celui que l’on appelait déjà « l’apôtre ». La date du dernier congrès tenu dans cette ville remontait ą trente ans. Dans le substantiel discours que Léon Denis prononça ą cette occasion, il soulignait l’intérêt de ces réunions mondiales a époques rapprochées.

« Les congrès, disait-il, sont utiles en ce sens qu’ils sont une affirmation de la vitalité de nos principes et de nos croyances. Les congrès sont utiles parce qu’ils contribuent ą orienter la marche du Spiritisme. On y mesure les progrès réalisés. On s’y concerte de manière ą mieux organiser le travail d’expérimentation et de propagande, ą le rendre plus méthodique. On y resserre les liens de solidarité qui unissent les spirites de diverses contrées, de diverses fédérations. Et chaque fois que ceux qui ont participé ą ces congrès rentrent dans la vie active, dans la lutte des idées, c’est avec une ardeur nouvelle, c’est avec une confiance plus grande. »

Puis entrant au vif de la question, il exposait ce qui, selon lui, devait être l’objectif essentiel du Spiritisme. D’abord, provoquer, rechercher, coordonner les preuves expérimentales de la survivance au moyen d’un contrôle rigoureux, en s’aidant de l’esprit de méthode et de critique, en se défiant des affirmations prématurées. Ensuite, préparer, rénover l’éducation scientifique, rationnelle et morale de l’homme dans tous les milieux.

« Je crois pouvoir dire, affirmait-il, que c’est le Spiritisme qui est appelé ą devenir le grand libérateur de la pensée asservie depuis tant de siècles. 

L’œuvre magnifique du Spiritisme sera de rapprocher les hommes, les nations, les races, de former des cœurs, de développer les consciences. Mais pour cela, il faut le travail, la persévérance, l’esprit de dévouement et de sacrifice. »

Et rassurant les néophytes, de la lenteur apparente des progrès de la doctrine :

« Nous sommes impatients, disait-il, parce que notre vie est courte. Mais déjà nous pouvons dire que le Spiritisme a plus fait dans cinquante ans que n’importe quel autre mouvement de la pensée, ą n’importe quel âge de l’Histoire. 

C’est une grande joie pour moi, ajoutait-il, que de pouvoir dire ces choses ici, dans cette capitale de la Wallonie, sur cette terre d’indépendance et de courage dont les fils ont toujours compris et montré que rien ne s’obtient qu’au prix du travail et de la patience. »

Puis, faisant l’historique du Spiritisme, il montrait, dans un raccourci saisissant, comment la science, tout d’abord rétive, se trouvait peu ą peu et malgré elle aiguillée dans le même sens.

« Il y a cinquante ans, disait-il, que les spirites savent ce que la science veut bien découvrir aujourd’hui. »

Et il enregistrait l’aveu d’impuissance et le désarroi de celle-ci, prophétisant déjà qu’elle serait contrainte de se réviser promptement selon l’hypothèse spirite.

Passant au problème religieux, il faisait, là encore, d’importantes déclarations qu’il était en mesure d’appuyer.

« L’idée spirite, disait-il, a pénétré dans les milieux confessionnels les plus réfractaires, les plus orthodoxes. »

Et il citait le pasteur Bénezech, chez les protestants, le père Didon, chez les catholiques.  « Dans tout cela, ajoutait-il, il y a un levain qui fera lever les pates dans toutes les institutions et dans tous les milieux sociaux. »

Il terminait par une péroraison admirable dans laquelle il célébrait, par-delà les faits d’expérience.

« Le splendide effort de l’au-delà pour arracher l’âme humaine à ses doutes, à ses hontes, à ses lêpres, à ses maladies morales, pour l’obliger ą prendre conscience d’elle-même, de ses énergies cachées, pour la forcer ą réaliser sa destinée glorieuse par la communion des âmes qui s’appellent et se répondent ą travers l’étendue. »

 

Le problème de l’Etre et de la destinée.

 

Cette date du Congrès de Liège marque une phase nouvelle d’un labeur qui va toujours s’accélérant. Un autre ouvrage était en préparation qui demandait de nombreuses lectures, et surtout un énorme travail de compulsion et de recherches approfondies. Sa vue mauvaise le gênait beaucoup ; il n’avait point de secrétaire. La maman n’était plus là pour veiller sur lui, l’engager ą se soigner, chose qu’il oubliait parfois de faire. Sanglé dans sa robe de chambre, penché sur ses bouquins, annotant, écrivant du matin au soir, dans son petit bureau de la rue de l’Alma, lui aussi, comme autrefois le tourangeau Balzac, faisait penser ą un « bénédictin des Lettres ».

Après avoir écrit son beau traité de la médiumnité, Dans l’Invisible, il abordait maintenant le formidable problème de la destinée humaine. « Ce sont les morts qui posent le problème de notre destinée » dit la doctrine shintoïste ; mais au début de ce siècle, ce n’était pas l’avis de tout le monde.

Le livre de Léon Denis paraissait à la date même où Les Enigmes de l’Univers, de Haeckel, pénétraient les milieux universitaires français. Léon Denis contre Haeckel ! Le duel reprenait entre deux adversaires irréconciliables : le spiritualisme et le matérialisme. Le philosophe allemand n’ajoutait rien aux systèmes d’Anaxagore, d’Epicure ou de Lucrèce, mais il aggravait leurs conclusions en développant son système néantiste.

Les philosophes de l’antiquité étaient des douteurs, non des négateurs obstinés. Ils disaient : la vérité est inconnue, ils n’imposaient pas, comme les positivistes modernes ayant dépassé leur maître, le dogme de l’inconnaissable. On menait en fin de compte un pareil système ? Léon Denis, avec sa clairvoyance habituelle, en démontrait les désastreux effets.

L’homme se trouvant dans la plus complète ignorance de ce qu’il est, des responsabilités qu’il encourt, en tant qu’être doué de conscience, a de plus en plus tendance à déchaîner ses appétits, ą meurtrir, ą asservir ses semblables pour arriver ą la jouissance sensuelle intégrale. D’où l’arrivisme effréné, parmi les citoyens, les convulsions sociales de plus en plus fréquentes, les crimes affreux, les révolutions sanglantes, les guerres dévastatrices qui menacent de précipiter finalement la civilisation contemporaine dans une ruine définitive.

L’homme, heureusement, ne peut longtemps se satisfaire de semblables doctrines. Un sûr instinct le ramène vers des vues moins étroites. Même quand il doute et parait se contenter des solutions hésitantes de la science, un sentiment inexpliqué, la crainte de mal faire, et aussi un vieux levain d’espérance invincible, le ramènent dans les limites du devoir, limites assez mal définies, il est vrai, mais cependant suffisantes pour l’empêcher d’abdiquer tout contrôle de ses pensées et de ses actes.

A ces négations ou ą ces affirmations gratuites, à cette métaphysique de néant, l’auteur du « Problème de l’Etre » venait opposer sa philosophie virile et consolante qui n’était que la conception rajeunie et adaptée ą la mentalité moderne des plus grands sages de l’antiquité.

« Le Spiritisme, disait-il, nous apporte le moyen d’éloigner le doute de votre cœur, de votre pensée, il vous sollicite et vous persuade ; il vous entraîne irrésistiblement vers un horizon où s’allument les clartés attendues. 

Foi du passé, sciences, philosophies, éclairez-nous d’une flamme nouvelle ; secouez les vieux linceuls et les cendres qui les recouvrent. Ecoutez les voix révélatrices de la tombe : elles nous apportent un renouveau de la pensée avec les secrets de l’au-delà que l’homme a besoin de connaître pour mieux vivre, mieux agir, mieux mourir. »

L’intérêt de cette révélation venait justement de la parfaite analogie des messages des Esprits avec les  enseignements des philosophies et croyances les plus anciennes dont elle apportait une formule plus précise, plus conforme à nos goûts actuels.

Dans son livre, l’auteur précisément, montrait l’évolution lente mais continue de la pensée intuitive déblayant le terrain devant la science, la succession des aspects différents de la sagesse façonnant les élites, la lente montée de l’humanité prenant conscience de son rôle, dans le but, lointain encore d’arriver ą la fusion nécessaire, attendue, espérée, de tous les systèmes philosophiques et religieux dans la vraie Science ; car le moyen d’arriver ą la connaissance ne peut être obtenu que par elle.

L’homme moderne est avide de preuves. Il exige que le sentiment et l’intellect soient satisfaits en même temps. Des faits, voilà ce qu’il veut, d’ù l’opportunité du spiritualisme expérimental. La science étudie l’atome, la radioactivité des corps, la mystérieuse électricité, les ondes hertziennes. Pourquoi ne scruterait-elle pas les phénomènes étranges et passionnants du para-psychisme ?

C’est dans ce domaine qu’il faut pénétrer pour avoir la clé du problème mal connu de la destinée humaine.

L’auteur ne s’y engageait lui-même que sur la foi d’une abondante documentation. Il s’était imposé une étude approfondie des ouvrages des Pères Didon et Marchai, des beaux enseignements médianimiques du pasteur Stainton Moses. Il avait lu les travaux de Myers et de Williams James, de Russel Wallace, de Crookes et d’Hyslop.

Il avait compulsé les documents les plus caractéristiques des « Proceedings », médité les conclusions des maîtres de la biologie et de la psychologie contemporaines : Cl. Bernard, Th. Ribot, Wundt, Pierre Janet, etc.

Très au courant des intéressants travaux du Colonel de Rochas sur l’extériorisation de la sensibilité, il avait lui-même expérimenté à Tours, au Mans, à Lyon, ą Marseille, à Nancy, à Paris, dans nombre de groupes spirites (2).

Nul n’était donc plus qualifié, ą l’époque, pour entreprendre semblable tâche. Toutefois Léon Denis ne se faisait aucune illusion en écrivant ce livre. Il savait qu’il faudra longtemps encore revenir sur ces questions, accumuler des faits et des faits. C’est sous leur poids que la critique, enfin, cédera. Du moins, le franc succès qui accueillit cet essai de philosophie spiritualiste le paya-t-il amplement de son effort.

Les journaux et revues firent l’accueil le plus flatteur au nouvel ouvrage. Ed. Grimard, dans la Revue Spirite, le Dr. Bécour, dans la Vie nouvelle, en donnèrent un compte-rendu des plus élogieux.

Le Journal vantait le style éloquent, entraînant, lumineux de l’auteur.

« Nul n’écrit une langue aussi aisée, aussi simple, et d’une éloquence aussi persuasive et rayonnante. Tous ses écrits sont empreints d’une grande beauté morale. Ils élèvent et purifient, disait le Mercure de France en citant quelques pensées dont il soulignait la justesse et la profondeur. »

Même accueil à l’Echo de Paris.

« Tous voudront lire ces pages d’une science et d’une philosophie profondes quoique accessibles aux plus simples intelligences. Ajoutons que la netteté des idées, le coloris du style, la beauté de la forme et la logique des déductions en font à la fois un régal pour l’esprit, un réconfort pour la raison, une joie exquise pour le cœur. »

 
 


 

Bibliographie

 

(1) Gaston Luce dans son œuvre « Léon Denis – L’Apôtre du Spiritisme – Sa vie – Son œuvre. »

(2) Voir « Dans l’Invisible », p. 313 – Le problème de l’être et de la destinée ; p. 263.