Léon Denis, L’Apôtre du Spiritisme – Sa vie, son œuvre.

Dans son œuvre sur Léon Denis, Gaston Luce dit de lui : « La nouvelle révélation que nous apporte le Spiritisme, basée sur la preuve expérimentale, est avant tout, d’ordre moral. » (1)

L’année 1882 marque, en réalité, le début de son apostolat. Au cours de ce relais douloureux que la destinée lui impose, il se replie sur lui-même pour mieux mesurer ses forces en vue des dures étapes qu’il devra parcourir. Il s’effraie de se trouver si mal en forme pour affronter un tel combat. Que de travaux à accomplir, que d’obstacles à vaincre ! Le matérialisme déferle en lourdes vagues entourant, battant les hauts sommets de l’intelligence de sa marée délétère.

Le positivisme rallie les suffrages de l’Université. L’idéalisme est bafoué, le Spiritisme un objet de risées. Les croyants de toutes confessions sont avec les athées pour le ridiculiser et s’il se pouvait l’anéantir. Pourtant, Léon Denis, en bon paladin fait front à l’orage. Les compagnons invisibles sont à ses côtés pour l’encourager, l’exhorter à la lutte.

« Courage, ami, lui dit Jeanne : nous serons toujours avec toi dans la vie pour te soutenir et t’inspirer. Tu ne seras jamais seul. Des moyens te seront donnés à temps pour accomplir ton œuvre ».

C’est le 2 novembre, jour des Morts de la même année, qu’un autre événement d’une importance capitale se produit dans sa vie. Celui qui, pendant un demi-siècle, devait être son guide, son meilleur ami, mieux encore, son père spirituel, « Jérôme de Prague », se communique pour la première fois, en séance spirite, au milieu d’un groupe d’ouvriers, dans un faubourg du Mans où Léon Denis se trouvait de passage.

Lui-même nous en a fait le récit : « Certes, aucun autre des assistants ne connaissait l’histoire de l’apôtre tchèque. Je savais bien que le disciple de Jean Huss avait été brûlé vif, comme son maître, au XVème siècle, par ordre du Concile de Constance, mais je n’y songeais guère en ce moment. Je revois encore, par la pensée, l’humble logis où nous faisions cercle, au nombre d’une dizaine, autour d’une table à quatre pieds, sans y toucher. 

Seuls, deux ouvriers mécaniciens et une femme y apposaient leurs mains rudes et noires. Et voici ce que le meuble dicta par des mouvements solennels et rythmés. 

« Dieu est bon ! Que sa bénédiction se répande sur vous comme une rosée bienfaisante, car les consolations célestes ne sont prodiguées qu’à ceux qui ont recherché la justice. 

J’ai lutté dans l’arène terrestre, mais la lutte était inégale. J’ai succombé, mais de ma poussière, il s’est levé des défenseurs courageux ; ils ont marché dans le sentier que j’ai pratiqué. Tous ceux-là sont mes fils bien aimés ».

Au mois de mars suivant, le hardi pionnier spirite recevait de Jérôme l’assurance formelle d’une assistance qui ne devait pas se démentir un seul jour.

« Va, mon fils, dans le sentier ouvert devant toi ; je marche derrière toi pour te soutenir ». 

Et comme Léon Denis se demande encore si son état de santé lui permettra d’être à hauteur de la tâche, il reçoit cette autre adjuration : « Courage, la récompense sera plus belle ! »

De ce jour, le jeune maître s’est engagé dans le sentier d’où l’on ne peut plus regarder en arrière, ni rétrograder sans risquer la chute irréparable.

« Dans dix ans, il te faudra monter sur la brèche, lui avaient annoncé ses guides ». Le temps est révolu. Mais sa résolution est prise: il a désormais choisi sa devise: «Toujours plus haut ! ».

 

Premier contact.

 

Le 31 mars 1881, on lui avait demandé de prononcer l’hommage traditionnel sur la tombe d’Allan Kardec, au cimetière du Père-Lachaise. En décembre 1882, il prenait une part prépondérante aux travaux du Congrès qui devait enregistrer la fondation de la Société des Etudes Spirites.

Le Dr Josset présidait la réunion, assisté de MM. Chaigneau et Delanne, père, comme secrétaires. M. Leymarie était en quelque sorte l’animateur de ces premières assises. Mme Allan Kardec, alors très âgée, avait été mise au courant des dispositions qu’on allait prendre, et c’est en parfait accord avec elle que le Président déclarait qu’elle approuvait pleinement le principe de cette vaste association morale entre les spirites français et la création d’un organe « le Spiritisme » destiné à propager la doctrine.

Le Dr Josset avait souligné combien la présence de Léon Denis était précieuse en un tel jour où devait s’affirmer la solidarité des spirites provinciaux et parisiens. Celui-ci, parlant le dernier, avait lancé un vibrant appel à la concorde et l’assemblée lui avait fait un beau succès.

« Ce que nous ne pouvons rendre en écrivant – dit le compte rendu de la séance – c’est la chaleur, l’inspiration, la majesté du langage de l’éminent conférencier. L’assemblée était suspendue à ses lèvres ; on sentait vibrer son âme sous les accents émus de l’orateur».

Dès le printemps suivant, époque où il reprenait ses tournées, il abordait en conférence une question qui le captivait particulièrement : « Le Génie de la Gaule ». S’aidant des travaux des historiens et des philosophes, surtout d’Henri Martin, d’E. Quinet et de J. Reynaud, il éclairait ce grand sujet de vues personnelles qu’il devait développer plus tard dans ses ouvrages. En avril, il parlait du Génie de la Gaule successivement à Nantes, le Mans, Vendôme, Tours, Angers et Châtellerault.

Les dirigeants du mouvement spirite – on le devine sans peine – désiraient s’attacher un orateur de cette envergure. G. Leymarie qui, à cette époque, s’occupait de la liquidation de la succession de la veuve d’Allan Kardec, avait hâte de rencontrer Léon Denis pour s’entendre avec lui, en vue de l’action commune à mener dans l’intérêt de la cause.

Il lui écrivait, le 31 mai, en l’assurant de son dévouement entier à l’œuvre kardécienne : « M. J. Guérin (de Bordeaux), notre ami Lessard (du Mans) et votre serviteur pensent justement que vous devez puissamment nous seconder dans toute initiative à prendre en fait de Spiritisme. Je crois personnellement que vous avez une mission à remplir et que les jeunes doivent être mis à même de donner la mesure de leur bonne volonté – et vous êtes un homme de bonne volonté ».

Léon Denis lui répondit de la façon la plus nette et la plus ferme :

« Tours, le 13 juin 1883. 

Cher Monsieur et f. en c. 

A mon retour de voyage, je trouve votre lettre du 31 mai. Mon père me fait également connaître votre visite et les propositions bienveillantes que vous lui avez faites à mon intention. Je ne puis qu’approuver vos vues et rendre justice à vos persévérants efforts. Des engagements contractés envers la maison de commerce dans laquelle j’ai d’importants intérêts ne me permettent pas, pour le moment d’accepter un mandat permanent, entraînant certaines obligations. 

Mais comme par le passé, je suis disposé à consacrer mes loisirs à la propagande spirite. Dès que la saison des conférences sera revenue, c’est-à-dire de septembre à avril, je serai à la disposition des sociétés et me rendrai dans les localités où ma présence pourrait être utile, cela d’une manière toujours gratuite et désintéressée, mes ressources personnelles me dispensant de recourir à aucune aide matérielle. 

Dans ces limites, je serai heureux de joindre mes efforts et mes moyens d’action à ceux des hommes sincères qui, par la vulgarisation des doctrines spirites, travaillent au relèvement moral et intellectuel de l’humanité. »

Léon Denis ne s’engageait jamais à la légère. Avec lui, chose promise, chose due. Dès le début de novembre, il était au groupe régional du Mans pour la fête des Morts, et cette date, nous l’avons vu, devait être un des événements les plus marquants de sa vie. A Rochefort, le 14 du même mois, il parlait des « existences progressives des êtres ». A Cognac, le 16, puis à Agen, le 19, il traitait le même sujet. Son action était en progression constante.

L’année suivante, il reprenait « le Génie de la Gaule » en s’attachant plus particulièrement à la « Vie de Jeanne d’Arc ». Comment un tel problème n’eût-il pas requis son attention constante, puisque c’est un peu par lui que s’éclairait le mystère de sa propre destinée. Sorella, l’ange de la sagesse, ne s’était-elle pas muée en Jehanne, l’ange de l’amour sublime et du sacrifice ? N’était-elle pas en lui comme il était en elle, et sa vie mêlée et unie à la sienne au long des âges, indissolublement…

Au point de vue national, le miracle de la Pucelle apparaît comme l’un des événements les plus caractéristiques de notre histoire où sont mises en évidence, pour des fins ignorées, les extraordinaires ressources du génie gaulois.

Dès maintenant, Léon Denis a mesuré le champ de son labeur et planté ses jalons sur un terrain solide. Toute la doctrine Kardéciste doit se mouvoir, en occident, autour d’un pivot central qui est l’idéal celtique touché par la grâce chrétienne, le Spiritisme n’étant qu’un des aspects du rayonnement de l’éternelle Vérité.

 

Premiers écrits.

 

En vue de la propagande des idées qui lui étaient chères, Léon Denis s’entraînait depuis une dizaine d’années par la plume et par la parole. Tous ses discours étaient fixés sur le papier avant d’être prononcés, d’où leur forme toujours impeccable. Ses premières publications datent de 1880. Il débuta par un opuscule d’une cinquantaine de pages ayant pour titre : Tunis et l’Ile de Sardaigne. C’étaient des souvenirs d’un précédent voyage en Méditerranée et aux pays barbaresques.

Ce petit ouvrage est écrit dans un style ferme et coloré, agrémenté de jolies descriptions, de notations pleines d’originalité. Tout voyage, pour Léon Denis, est matière à une enquête approfondie sur les pays visités. Ce n’est point en dilettante qu’il les parcourt, mais plutôt en reporter. Et quel reporter averti, soucieux d’exactitude, attentif à bien voir afin de bien comprendre ! Une randonnée en Sardaigne, à cette époque, comportait une large part d’imprévu, pour ne pas dire de risques réels.

Donc après une courte traversée, il se rend de Porto-Torres, point de débarquement pour aller à Sassari distant d’une vingtaine de kilomètres environ. Le train manque de confort. « C’est en Sardaigne, écrit-il, que j’ai vu pour la première fois des voitures de quatrième classe pour voyageurs. Ces voitures sont semblables à nos wagons couverts, à marchandises. On s’y tient debout. Une tringle en fer horizontale, qui est à l’intérieur du véhicule, permet seule de garder son équilibre lors des chocs. Une population bruyante et couverte de haillons s’entasse habituellement dans ces voitures peu confortables. »

A Sassari, d’une chambre qui pourrait tenir vingt personnes et dont l’unique fenêtre close en forme de moucharaby donne sur la place du marché, il peut à l’aise examiner les différents types sardes, et la peinture qu’il nous en fait ne manque certes pas de couleur. C’est jour de foire. « Les hommes sont montés sur de petits chevaux pleins d’ardeur. Ils portent tous le bonnet de laine noire long et rabattu sur la nuque. L’extrémité, bourrée d’objets inconnus, forme une grosse boule qui tressaute à chaque mouvement du cavalier. Ils sont vêtus d’un sarreau noir sans manches, bras de chemise et culotte large en toile blanche, guêtres noires montant jusqu’aux genoux. D’autres sont affublés d’une peau de mouton retournée, la laine en dedans, et serrée à la ceinture. Ce costume, fort incommode par la chaleur, leur donne un air étrange. C’est, paraît-il, un préservatif contre la fièvre qui règne sur toute l’étendue de l’île. »

 

Voici pour les hommes.

 

« Les femmes sont vêtues d’étoffes de couleurs éclatantes. Leurs corsages sont brodés d’argent et de soies de teintes variées, d’un joli dessin. Ce corsage est ouvert jusqu’à la ceinture, et sous la chemisette, laisse voir toutes les formes. Les jupes sont rouges ou vertes pour les jeunes filles, bleues pour les femmes mariées. Un capulet attaché au sommet de la tête et retombant sur les épaules, la plupart du temps noir ou bleu, à raies jaunes, complète le costume qui souvent est d’un grand prix et que l’on ne porte que les dimanches ou les jours de fête. »

Le type sarde, très brun, de taille exiguë en général, plutôt laid, rappelle les traits de l’africain. Latins, Celtes, Ibères, Sarrasins ont pris pied dans l’île à, des époques différentes et s’en sont disputé les meilleurs coins. C’est ce qui explique qu’elle soit restée si longtemps réfractaire à notre civilisation. De Sassari à Cagliari qui se trouve au sud de l’île, Léon Denis est obligé de faire le voyage en diligence.

Il faut vingt heures au moins pour franchir la Barbagia désertique et sauvage. Deux carabiniers à cheval, le fusil sur la cuisse, escortent la voiture, car les attaques à main armée sont fréquentes dans la région. Heureusement, le voyage s’accomplit sans encombre et le voyageur arrive au terme du trajet, enchanté d’avoir pu traverser cette terre presque inculte à l’époque, mais si riche en ressources variées, où l’homme, encore voué à l’ignorance et à la superstition, est resté, avec ses mœurs grossières et ses outils rudimentaires, tel que nous pouvons nous le représenter aux époques primitives.

 


 

Bibliographie

 

(1) Gaston Luce dans son œuvre « Léon Denis – L’apôtre du Spiritisme : Sa vie – Son œuvre », chap. IV – L’Apostolat.