J’ai vu, couchées dans leurs linceuls de pierre ou de sable, les villes fameuses de l’antiquité, Carthage, aux blancs promontoires, les cités grecques de la Sicile, la campagne de Rome, avec ses aqueducs brisés et ses tombeaux ouverts, les nécropoles qui dorment leur sommeil de vingt siècles sous la cendre du Vésuve. J’ai vu les derniers vestiges de cités anciennes, autrefois fourmilières humaines, aujourd’hui ruines désertes que le soleil d’Orient calcine de ses brûlantes caresses. (Léon Denis, in Après la Mort)
Le premier grand ouvrage de Léon Denis, celui même qui devait avoir un retentissement si durable, parut à la fin de l’année 1890, sous le titre : Après la Mort, avec, comme sous-titre : « Exposé de la philosophie des Esprits, ses bases scientifiques et expérimentales, ses conséquences morales ». Le Congrès spiritualiste International, qui s’était tenu l’année précédente, avait émis, au nombre de ses vœux, qu’un résumé de philosophie spirite fût publié en édition populaire. Justement, l’auteur avait annoncé à ses collègues qu’il préparait un tel ouvrage.
« Ce sera, avait-il dit, un volume de 300 pages fait dans un esprit d’éclectisme et de conciliation de toutes les écoles, mais conservant, comme base, l’enseignement du Fondateur de la doctrine avec ses principes si logiques et si sages ». Malgré de louables efforts, il n’avait pu condenser le tout en 300 pages. Son livre en contenait 334 ; mais personne n’a jamais songé à s’en plaindre. Dans son numéro du 1er février 1891, la Revue Spirite, sous la signature d’E. Bosc, en présentait une analyse fort-substantielle, et c’est à ce travail que nous aurons recours pour mesurer la répercussion d’un semblable ouvrage dans les milieux spiritualistes de l’époque.
« L’auteur, écrit E. Bosc, s’est-il acquitté de la tâche qu’il s’était imposée ; a-t-il satisfait en même temps au vœu du congrès ? » Et le critique reconnaît, qu’au point de vue de la propagande, l’ouvrage est bien compris, le plan excellent. « C’est un Enchéridion, ou manuel, mis à la portée des intelligences les plus modestes, et cependant un résumé complet de l’enseignement des Esprits. C’est la vraie doctrine dans ce qu’elle a de large, de permanent et pour ainsi dire d’universel ».
La première partie du livre ayant trait aux grandes religions de l’antiquité ne lui donnait pas toute satisfaction. Pourtant, il était matériellement impossible de faire un exposé plus clair et plus complet de la question en si peu de pages.
Dans un intéressant article de l’Initiation, Papus faisait la même remarque. Félicitant l’auteur de ses beaux chapitres sur l’Inde, l’Egypte, la Grèce, la Gaule, il regrette de le voir passer du christianisme au matérialisme sans parler de l’hermétisme qui, par toutes ses branches, « a assuré la transmission continue de la doctrine secrète en occident ». La partie philosophique était en général bien accueillie. Résumé remarquablement clair de ces grandes questions, c’est un minimum que doit connaître tout spiritualiste.
« De celle-là, rien de spécial à dire sinon qu’elle est constituée par une série de ces beaux discours comme sait les faire Léon Denis. La philosophie spirite est exposée là dans sa beauté et dans ses grandes lignes. On y retrouve le souffle des idées d’Origène qu’avait tant étudiées Allan Kardec et la hauteur des conceptions les plus élevées fournies par les communications des Esprits ». Les deux parties qui suivent étaient considérées comme des modèles de clarté dans l’exposition, comme une petite encyclopédie du monde invisible. Mais déjà quelques-uns lui faisaient grief de n’avoir pas abordé à fond les influences diverses en action dans certains phénomènes. Où cela n’eût-il pas entraîné l’auteur ? De toute nécessité, il lui fallait reléguer au second plan les questions secondaires.
La cinquième partie de l’ouvrage ralliait les suffrages unanimes de la critique.
« La partie morale est un pur chef-d’œuvre, disait E. Bosc ; nous voudrions la voir tirée à part ; elle constitue à elle seule un petit traité de la vertu qui devrait être entre les mains de tout citoyen. Il n’est pas possible, après avoir lu Le Droit Chemin, de n’être pas meilleur qu’avant la lecture de ce beau morceau philosophique ».
La même note élogieuse se retrouvait dans des organes de pure littérature comme la Revue des Temps nouveaux où Gaston d’Iailly écrivait : « Je ne connais guère de livre mieux pensé, écrit dans un style plus correct et plus élevé ».
Enfin B. Martin, dans le Moniteur du 15 février, résumait la portée de l’ouvrage en termes excellents. « Dans ce cadre restreint, toute la doctrine spirite est exposée avec une lucidité et un charme qui en rendent la lecture agréable et à la portée de toutes les intelligences. Et maintenant, quel est le but que s’est proposé M. Léon Denis en écrivant ce livre ? Assurément pas celui de faire parade de science, de se poser en chercheur, de s’en faire un piédestal pour s’imposer à l’admiration des savants et des érudits. M. Denis a eu en vue un but plus élevé et plus digne de la mission qu’il se donnait.
Il a voulu, en présence des discussions sans fin qui se sont élevées, dans le monde scientifique, sur Dieu, sur l’aune, sur la réalité des communications du monde terrestre avec le monde spirituel, rétablir les vrais principes, tels qu’ils résultent des révélations que, depuis plus de quarante ans, nous donnent les Esprits ».
Et l’écrivain ajoutait : « Qu’on discute à perte de vue sur la manière dont ils se communiquent aux hommes, un fait existe, c’est qu’ils se communiquent ». Avant la publication de l’ouvrage, le 29 octobre 1890, Léon Denis ayant fait en séance spirite, au groupe de Tours, lecture des derniers chapitres, il lui fut ainsi répondu par le guide habituel Edouard Perinne : « Votre jugement sûr vous a en tout point servi ; rien à ajouter, rien à retrancher ; toute vérité domine, tout frappe, porte ; tout est clair et élégant dans votre style.
Pour les masses qui doivent lire, et qui je l’espère, liront ces pages, vous avez, en frappant l’imagination, su adoucir certains points effrayants ; je veux parler du temps qui souvent s’écoule entre les épreuves imposées et la récompense. Je dois le redire, tout charme dans ces pages malgré la gravité du sujet »
Rien à reprendre à cette appréciation de l’esprit éminent qui, durant tant d’années, servit d’instructeur et de conseil à l’auteur de ce livre admirable. C’était le premier fruit, – combien parfait et substantiel – d’une collaboration avec les entités tutélaires qui ne devaient plus cesser de l’assister dans ses travaux. Aussi est-ce à ses fidèles amis invisibles qu’il a voulu faire l’hommage de l’ouvrage écrit sous leur inspiration : « Aux nobles et grands Esprits qui m’ont révélé le mystère auguste de la destinée, la loi de progrès dans l’immortalité, dont les enseignements ont raffermi eu moi le sentiment de la justice, l’amour de la sagesse, le culte du devoir, dont les voix ont dissipé mes doutes, apaisé mes soucis ; aux âmes généreuses qui m’ont soutenu dans la lutte, consolé dans l’épreuve, qui ont élevé ma pensée jusqu’aux hauteurs lumineuses où siège la vérité, je dédie ces pages. »
Le succès de l’ouvrage, dès sa parution, fut rapide et ne se ralentit guère. Son retentissement fut immense dans le public spiritualiste et dans le public tout court. Il valut à son auteur des compliments sans réserves ; mieux que des compliments, des hommages de gratitude, des élans de reconnaissance vraiment touchants. Et ces suffrages et ces éloges n’émanaient pas spécialement des classes populaires peu aptes à démêler les qualités d’un livre, elles venaient surtout d’hommes d’une culture supérieure, témoin cette lettre du directeur d’un grand journal du Midi que nous donnons dans ses passages essentiels. Elle est datée du 1er octobre 1891.
« Quelles satisfactions ne devez-vous pas éprouver, Monsieur, non seulement d’avoir produit une telle œuvre, mais, mieux encore, en recevant dès maintenant la récompense de votre bonne action, de voir venir à vous les nombreux prosélytes si reconnaissants pour les pensées profondes, pleines de beauté et d’élévation, jetées avec une rare profusion dans votre remarquable ouvrage.
Mais cette juste et fortifiante récompense ne saurait, j’en suis sûr, égaler la suprême jouissance que j’éprouve depuis que mes yeux dessillés se sont ouverts à la lumière ; que mon intelligence, jusqu’ici obscurcie, s’est ressaisie pour s’affirmer avec force dans la certitude du lendemain ; que ma raison singulièrement fortifiée, procure à ma conscience, devenue calme et sûre, le repos bienfaisant que le doute, l’affreux doute, reculait sans relâche, à chaque étape douloureusement franchie.
Permettez-moi de vous le confesser, car cet aveu ne peut vous trouver insensible, mon devoir est maintenant tracé. Je m’efforce de faire éclater la lumière autour de moi, sans crainte des railleries que je vois jaillir de tous côtés, soutenu par la très nette conscience des obligations qui m’incombent ; réconforté par la noblesse et la grandeur du combat.
Je ne faillirai pas à ma tâche. Et si la fatigue devait naître de l’effort, je puiserais alors dans le noble enseignement que j’ai reçu de vous la force et le courage dont j’aurais besoin pour accomplir ce qui m’apparaît aujourd’hui comme la plus belle et la plus élevée des missions ».
Quand l’auteur, quelques années plus tard, donna de son livre une édition revue et considérablement augmentée, les appréciations de la presse se firent encore plus élogieuses. Alexandre Hepp, dans le Journal, écrivait :
«Il est un homme qui a écrit le plus beau, le plus noble, le plus précieux livre que j’aie lu jamais. Il a nom Léon Denis, et son livre : Après la Mort. Lisez-le, et une grande pitié, mais libératrice et féconde, vous viendra brusquement de nos manifestations de regrets, de notre peur de la mort et de notre grand deuil de ceux que nous croyons perdus ».
Le Temps, de son côté, présentait l’ouvrage en ces termes :
« Ce volume est vraiment remarquable. Il possède toutes les qualités qui peuvent en assurer le succès. Quoique, éminemment classique, profond et sérieux, ses pages n’en rayonnent pas moins d’une vive lumière et sont tout imprégnées d’une brûlante éloquence. Ainsi que l’indique son titre, il traite du formidable problème de la destinée humaine et donne une solution à cette question si controversée dans tous les âges : le pourquoi de la vie. Problème ardu en vérité, mais traité avec un tel charme de style et d’élocution que, dans tout ce livre, on ne rencontre pas une seule page d’une lecture fatigante ou dépourvue d’intérêt ».
Dans l’Eclair, mêmes louanges que certaines réserves rehaussent et mettent en valeur :
« Ce livre est destiné à satisfaire les curieux du mystère et de l’au-delà. L’auteur y défend le Spiritisme avec une rare conviction, soutenue par un talent distingué d’écrivain. Son style est clair, rapide, d’une correction irréprochable et, à l’ordinaire, brillant et poétique, mais sans vaine phraséologie. Certes, on peut ne pas partager les idées de l’auteur, mais il faut respecter le sentiment qui l’inspire, et l’on ne peut refuser à sa noble sincérité la sympathie dont œuvre et écrivain sont également dignes ».
« Tout livre est bon qui nous incite à devenir meilleur » disait M. Ducasse-Harispe dans Analyse et Synthèse.
« Lisez ce livre. Il est d’une philosophie sereine et profonde, sertie dans un langage imagé et brillant. Certaines pages sont d’une magnifique éloquence ; toutes sont d’une correction irréprochable. C’est un livre sérieux comme un eucologe et attachant comme un roman. C’est un livre qu’on garde et qu’on relit.
Dans le déluge des productions ineptes ou grossières qui envahit les librairies et les bibliothèques, l’œuvre de M. Léon Denis est une fleur égarée, surnageant en la marée de boue malodorante.
Quand il y a des hommes pour écrire de tels ouvrages et d’autres hommes pour les apprécier, on se prend à espérer qu’il surgira, en notre pays, des jours meilleurs, que tout n’est pas perdu, et que l’assainissement moral de notre chère France n’est pas un vain rêve. »
Dans le concert unanime, une note discordante : Gaston Méry, directeur de l’Echo du Merveilleux présentait Léon Denis comme un « prêtre de la religion spirite. »
Après avoir reconnu la beauté de la forme, il mettait le lecteur en garde contre les dangereuses erreurs que propageait l’écrivain.
« Ce livre en soi est très bien fait, concédait-il, et il ajoutait à cela de menus éloges. La critique venait ensuite, mais elle portait à faux. D’après lui, le Spiritisme de Léon Denis n’était qu’un démarquage du Christianisme mais sa doctrine aboutissait nécessairement à la négation des trois vertus essentielles : la foi, l’espérance et la charité, et à la substitution, dans les âmes, de l’idée d’orgueil à l’idée du devoir. Cela continuait sur ce ton pour finir ainsi : « Quand le Spiritisme aura eu ses martyrs comme le catholicisme, on pourra en reparler. »
C’était, on le voit, une argumentation des plus sommaires.
A la critique passionnée d’un littérateur, nous opposerons cette page enthousiaste d’un lecteur chez qui l’ouvrage a déterminé une révolution soudaine dans les sentiments et les idées.
Cet homme vient de perdre sa femme, athée comme lui. Deux mois se sont écoulés depuis l’évènement. Mis en face du problème qui se pose à nous un jour ou l’autre, dans toute sa grandeur angoissante et sublime, il rentre en lui-même, médite, scrute les mystères, les religions, lit les philosophes. Et voici ce qu’il écrit à Léon Denis d’une plume brûlante.
« Je n’étais pas sans savoir, d’une façon générale, en quoi consistait le Spiritisme, mais lorsqu’on est bien portant, pas encore vieux, avec devant soi des années qu’on espère nombreuses et qu’on se promet de bien employer à la satisfaction de tous nos sens, pourquoi s’embarrasser de ces questions de l’au-delà ? On a parfois, devant l’immensité des mondes, l’intuition, la certitude même, d’une Intelligence créatrice, mais cette impression est tôt chassée par des préoccupations moins abstraites.
Dieu ne fait en nous que de fugitives apparitions. On pense à vivre, d’abord, et à bien vivre. Et tout à coup, s’ouvre devant nous l’abîme de la mort. J’ai lu, depuis, les livres d’Allan Kardec. J’ai lu les vôtres, d’autres encore traitant des questions spirites. J’ai lu Après la Mort et j’ai pleuré les plus abondantes, les plus douces larmes de ma vie. On vous a dit, des écrivains, des journalistes, des penseurs vous ont écrit que c’était là un très beau livre. Ce n’est pas cela. Ce livre, je voudrais être riche, très riche pour l’éditer par millions et le voir dans toutes les mains, sur toute la terre. Rien n’a été ni ne sera jamais écrit dans aucune langue qui soit si grand et si beau. »
Quand un livre reçoit de tels hommages, c’est qu’il recèle en ses pages l’étincelle sacrée.
Ainsi en jugeait le Dr Panaït Istrati, inspecteur général de l’Enseignement supérieur, ministre de l’Instruction publique en Roumanie, quand il écrivait à l’auteur :
« Votre ouvrage, Après la Mort, est un des meilleurs que je connaisse. Un tel recueil, pour une société comme celle de mon pays, laquelle, quoique jeune, est déjà ravagée par le matérialisme terre à terre, serait très utile pour relever les caractères, élargir la pensée pure et nous fortifier dans la lutte pour l’existence, en rappelant à l’homme le but noble de la vie et ce qu’il se doit à lui et à ses frères. C’est pourquoi je viens vous demander la traduction en roumain de votre travail. »
Quand donc un semblable suffrage viendra-t-il de l’Université de France ?
Bibliographie
(1) Gaston Luce dans son œuvre « Léon Denis – L’apôtre du Spiritisme : Sa vie – Son œuvre ».