Hegel et le magnétisme animal.

Publié en 1817, « Le magnétisme animal » est un texte extrait de l’Encyclopédie des sciences philosophiques. Cet écrit d’une cinquantaine de pages se trouve au début de la troisième partie intitulée « Philosophie de l’esprit ». Hegel entreprend d’y étudier dans le détail le magnétisme animal qu’il considère comme un fait avéré mais néanmoins difficilement appréhendable par l’entendement.

Selon Hegel, les phénomènes du magnétisme animal font apparaître dans l’expérience « l’unité substantielle de l’âme et la puissance de son idéalité » (p.39). Ces phénomènes placent les distinctions de l’entendement dans un état de confusion car le magnétisme animal suspend la relation de cause à effet. Apparaît alors une « supériorité de l’esprit sur le séparé » (p.42) qui demeure pour l’entendement un prodige incroyable (le magnétisme animal étant en quelque sorte hors de l’entendement de l’entendement).

Pour autant, Hegel ne considère par les phénomènes du magnétisme animal comme une élévation de l’esprit mais davantage comme une « maladie » qui conduit l’esprit à « s’affranchir des limites de l’espace et du temps » (ce qu’il appelle les « liens finis »). Le retour au magnétisme animal est alors – pour l’esprit élevé jusqu’à l’entendement – considéré comme une « chute ».

Ainsi, dans le magnétisme animal opère l’ « âme sentante dans son immédiateté » (qui caractérise également l’acte de rêver et de pressentir selon lui). Au niveau le plus primaire, le sujet est une « monade », passif et indifférencié de lui-même ; il n’est en aucune manière « réfléchi en soi ». Ce rapport premier est identique au rapport de l’enfant à sa mère durant la grossesse.

Il s’agit d’une forme de « rapport d’âme », une « unité d’âme », une « relation magique » dont les « traces apparaissent par ailleurs dans le champ de la vie consciente, réfléchie, peut-être entre amis (…), entre époux, entre membres d’une même famille » (p.45). Ce matériau substantiel de l’être, qui caractérise son caractère et sa sensibilité, donne naissance secondairement à la subjectivité réfléchie. Elle contient « dans sa simplicité enveloppante tous les liens à venir et les essentielles relations » (p.45).

Il existe par ailleurs selon Hegel une relation réciproque entre l’âme sentante dans son immédiateté et l’entendement, une sorte de « mélangé » (p.47) que le philosophe allemand appelle le « rapport magique de l’âme sentante », « une force magique dont l’action n’est pas déterminée selon le lieu, les conditions et les médiations des rapports objectifs » (p.47).

L’âme sentante est cette force qui agit sans médiation ; elle est une « influence immédiate de l’esprit sur un autre esprit » (p.48) qu’Hegel rapproche de « l’influence que l’esprit individuel exerce sur sa propre corporéité » (p.48). Ce rapport du domaine de l’intuition est premier, la pensée scientifique n’étant que seconde. Il distingue plus précisément deux formes de rapports magiques de l’âme sentante : « la subjectivité formelle de la vie » et la « subjectivité réelle de l’âme sentante ».

La subjectivité formelle de la vie est un moment de vie subjective de nature essentiellement formelle et primaire qui comprend elle-même trois sortes d’états :

1.1 – Le rêve naturel : l’âme parvient dans cet état à « un sentiment profond et puissant de sa nature individuelle totale, du cercle complet de son passé, de son présent et de son avenir » (p.50).

1.2 – La vie de l’enfant dans le sein de sa mère : l’enfant est alors porté par l’âme de sa mère : « l’âme du fœtus en elle-même encore sans soi trouve son soi » (p.51). Il s’agit d’une unité d’âme non séparée. Le soi de l’enfant est en effet complètement ouvert et influencé par celui de sa mère.

1.3 – Le rapport de la vie consciente à la vie intérieure secrète (le rapport au spirituel, au génie) : c’est une autre manière d’accéder à la totalité de son être, la relation de l’individu à son génie étant à considérer comme « particularité décisive de l’homme dans toutes ses positions et relations à son action et à son destin » (p.52). L’être humain est ainsi double, entre une forme d’extériorité et d’intériorité. La conscience d’entendement éveillée est déterminée par son génie de la même manière que le fœtus l’est par sa mère, ou à la manière dont l’âme parvient dans le rêve à la représentation de son monde individuel.

Ce mode relationnel se distingue néanmoins des deux états décrits précédemment car il est l’unité même de cette relation et qu’il rassemble le moment de l’unité simple de l’âme avec elle-même. Ce génie apparaît alors comme un autre soi-même à l’égard de l’individu.

Les caractéristiques du magnétisme animal et des états qui le constituent ne demeurent accessibles selon Hegel qu’à ceux qui accèdent à la condition fondamentale de ne pas être intimidés par les catégories de l’entendement :

« Il pourrait sembler que les faits ont besoin de vérification, mais une telle vérification serait à son tour superflue pour ceux qui l’exigeraient, car ils se rendent la tâche des plus faciles en laissant passer pour illusion et pour imposture les récits au nombre infini et si bien attestés par la culture, le caractère, etc., des témoins. Ils tiennent si fermement à l’a priori de leur entendement que non seulement tout attestation est impuissante face à lui, mais qu’ils ont nié par avance ce qu’ils ont vu de leurs propres yeux » (p.54)

Hegel par la suite de comprendre plus avant l’état somnambulique. Dans celui-ci entrent dans la conscience uniquement les « intérêts particuliers » et les « relations limitées ». La science et la philosophie ne sont pour leur part accessibles que par la pensée développée par la conscience et il serait « fou d’attendre de l’état somnambulique des révélations sur des idées » (p.55), limitant ainsi de fait les connaissances acquises dans l’état somnambulique (il en viendra néanmoins à nuancer ce propos comme nous le verrons plus loin).

Hegel note que lors de l’état somnambulique la plénitude de la conscience est engloutie et l’âme plongée dans le sommeil. Une réalité immanente de l’individu surgit alors qui est en soi « voyante et sachante ». Le sujet devient alors la monade qui sait en elle-même sa réalité. Celle-ci nécessite d’être médiatisée par l’entendement pour être réfléchie, mais ce même contenu peut être perçu dans cette forme d’immanence ; il s’agit alors de « clairvoyance » en tant que « substantialité non séparée du génie » qui caractérise l’essence de la relation.

Mais cette forme de perception ne pouvant se déployer comme relation d’entendement est « abandonnée à tous les hasards propres au sentiment et à l’imagination » (p.57) et des « représentations étrangères entrent dans sa vision ». On ne peut ainsi distinguer que difficilement ce qui serait pertinent de ce qui relève de l’imagination dans les voyances du somnambule.

Hegel se réfère alors à Platon afin de mieux cerner le lien entre prophétisation et conscience lucide. Selon ce dernier, la part irrationnelle de l’être peut atteindre la vérité par la menteia, la faculté d’avoir des visions. Ce lien entre déraison humaine et prophétie a pour conséquence paradoxale que l’homme lucide n’est pas dans la raison car il se trouve enchaîné dans le sommeil de l’entendement. Hegel rejoint néanmoins les conceptions platoniciennes selon lesquelles la vision n’aura d’intérêt que si elle est liée à l’entendement.

Pour qu’émerge cette compétence qui met en défaut l’entendement, un état de passivité est nécessaire. Elle ouvre ainsi la voie à la nature immatérielle de l’âme capable d’être avec une autre. Ne subsiste alors qu’un « soi formel » empli de sensations, souvent à « deux génies », constitué du somnambule et de son magnétiseur (les représentations étant indéterminées entre l’un et l’autre).

Toujours dans cet état de passivité – dans cette « vie de sentiment » – le sujet, par sa « substantialité sentante », sent et entend dans un « rapport sans relation » qui demeure impossible si l’on « présuppose des personnalités indépendantes les unes des autres et indépendantes du contenu considéré comme un monde objectif et si l’on présuppose également l’absoluité de la séparation réciproque spatiale et matérielle en général » (p.59). Hegel considère donc qu’il existe une forme de relation immanente reliant les êtres au monde.

Hegel aborde ensuite la deuxième forme du rapport magique de l’âme sentante, la « subjectivité réelle de l’âme sentante ». Apparaît sous cette forme une vie de l’âme « réellement double » qui consiste en un rapport non médiatisé de l’âme et un rapport médiatisé au monde. Lorsque ces deux « côtés » se séparent, une maladie apparaît. L’esprit perd alors la domination sur l’animé et se retrouve rabaissé à la forme de l’inanimé.

 


Bibliographie

 

Page internet de CIRCEE – Centre d’Information de Recherche et de Consultation sur les Expériences Exceptionnelles.