DE QUELQUES PHENOMENES DIT DE MATERIALISATION – I.

Ce n’est pas sans grande hésitation que je me suis décidé à publier ces expériences car, encore qu’elles aient été précédées de quelques expériences analogues, dues à divers savants, et en particulier à Sir William Crookes, elles sont assez étranges pour provoquer l’incrédulité. Il me paraît toutefois que certains faits sont indéniables, et ce sont ces faits que je voudrais exposer, en m’abstenant de toute interprétation théorique et de toute discussion.

 

I

 

Grâce à la bienveillance de M. le général Noël et de Mme Noël, grâce à la bonne volonté et à l’abnégation de Mlle Marthe B., ces expériences ont pu être poursuivies par moi pendant tous le mois d’août 1905. J’avais eu déjà l’occasion en 1903 d’assister à quelques séances de la villa Carmen. Mais je n’avais pas cru devoir en conclure quelque conclusion ferme.

Il est inutile d’ajouter que M. et Mme Noël avaient déjà publié sur ces faits singuliers diverses notices qui ont paru dans la Revue scientifique et morale du spiritisme de G. Delanne, depuis plusieurs années. Mais je ne ferai aucune allusion à ces récits, et je m’occuperai exclusivement des faits dont j’ai été témoin.

Les personnes assistant à ces expériences étaient M. le Général Noël, Mme Noël, Mlle X…, M. Gabriel Delanne et les trois filles de M. B., officier retraité : Marthe (19 ans), Paulette (16 ans), Maia (14 ans). Marthe a été fiancée à Maurice Noël, le fils de M. et Mme Noël, qui est mort au Congo, il y a un an. Il est probable que la plupart des phénomènes qui se sont produits étaient dus à l’influence de Marthe comme médium. En effet, les diverses personnes étaient en dehors du rideau où se produisaient les matérialisations, tandis que Marthe restait assise dans le cabinet derrière le rideau. Deux fois à ces expériences, derrière le rideau, prit part une personne, nommée Ninon, chiromancienne de profession ; mais son rôle à été assez nul ; car elle ne fut là que deux fois. Une négresse au service de M. Noël, jeune fille de 22 ans, nommée Aischa, à pris part aussi, soi-disant comme médium, à ses séances, et elle restait derrière le rideau. Mais son rôle paraît avoir été assez médiocre ; car, dans plusieurs expériences où il y a eu des phénomènes importants, Marthe était seule, sans Aischa ni Ninon.

La salle où ont eu lieu ces expériences est un petit kiosque situé dans le jardin de la villa Carmen, où logent M. et Mme Noël. Ce kiosque est complètement séparé de toute habitation ; il n’est composé que d’une seule pièce et il est bâti sur une écurie remise. Cette salle à deux fenêtres et une porte d’entrée. Une des fenêtres donne sur la rue, à une très grande hauteur (de 5 mètres). L’autre fenêtre donne sur l’escalier qui conduit du jardin à la rue. (Le jardin est en pente très abrupte de la rue Fontaine Bleue à la rue Darwin). La porte donne sur le jardin. Chacune des deux fenêtres est condamnée et recouverte d’une toile clouée au mur. Par dessus cette toile clouée se trouve un rideau de tapisserie épais qui est aussi cloué au mur. Le plancher de la salle est formé d’un carrelage en petites dalles cimentées. Par dessus est cloué une sorte de tapis linoléum, qui, près du cabinet, est lui même recouvert d’un tapis de feutre peu épais.

Le cabinet n’est constitué que par un baldaquin formant un triangle dans un des angles de la salle. Ce triangle représente un triangle rectangle dont l’hypoténuse (AB) a environ 2m50. La hauteur du baldaquin est de 2m10. Celle de la pièce est de 2m60. Il y a donc 0m50 d’espace entre le dais du baldaquin et le plafond. Le triangle est fermé par un rideau de tapisserie très épaisse et sombre. Ce rideau court sur une tringle au moyen d’anneaux.

Au devant du rideau, en laissant à peine assez d’espace pour qu’on puisse passer, est une table circulaire en bois noir, autour de laquelle nous étions groupés dans l’ordre suivant (presque toujours).

En regardant le rideau comme au théâtre, et en prenant la droite du spectateur, on avait successivement autour de la table : Maia, Melle X…, moi même, Paulette, G. Delanne, Mme Noël, le général Noël.

Avant la séance, je faisais l’exploration minutieuse de toute la pièce, du baldaquin, des rideaux, des fauteuils (qui étaient soulevés), d’une baignoire et d’un vieux bahut rangés dans le fond, de sorte que je puis affirmer que nulle personne n’était cachée dans la pièce. En outre, comme les rideaux des fenêtres étaient cloués, qu’il n’y a pas de trappes dans le plancher, ni de fausse porte dans le mur, je puis en toute certitude affirmer que nulle personne étrangère ne pouvait pendant la séance pénétrer dans la salle.

La lumière était donnée par la lumière d’une bougie mise dans une lanterne photographique à verre rouge qu’on plaçait à une certaine hauteur (2m25) au dessus de la porte.

Par devant, le rideau avait une ouverture, de sorte qu’il était constitué en deux parties, une partie droite un peu plus longue que la partie gauche. Quand le rideau était largement ouvert, et que les yeux étaient bien habitués à l’obscurité, on pouvait distinguer les mains, les figures des médiums et leurs vêtements. Toutefois, il était assez difficile de les reconnaître, même avec l’ouverture maximum du rideau. Au contraire, dans la salle, à une distance de 1 mètre ou 1m50, on reconnaissait très facilement les diverses personnes qui étaient là.

Après diverses opérations préliminaires, sur lesquelles je n’insiste pas, Marthe et Aischa allaient s’asseoir dans le cabinet, et le rideau était tiré ; Marthe étant à gauche et Aischa à droite.

Les séances avaient lieu soit à 4 heures du soir, soit à 8 heures. Elles duraient deux ou trois heures. Après la séance, je faisais l’exploration minutieuse de la salle avec autant de soin qu’avant la séance.

 


 

Bibliographie

 

Auteur : Charles Richet dans son œuvre  «Quelques phénomènes dit de matérialisation».