De l’existence de la douleur et pourquoi – IV.

La Douleur.

 

Pour tous ceux dont la vie est limitée par les horizons étroits du matérialisme, le problème de la douleur est insoluble ; il n’est pas d’espérance pour celui qui souffre. N’est-ce pas vraiment chose étrange que l’impuissance de tant de sages, de philosophes, de penseurs, depuis des milliers d’années, à expliquer et à consoler la douleur, à nous la faire accepter lorsqu’elle est inévitable ? Les uns l’ont niée, ce qui est puéril. D’autres ont conseillé de l’oublier, de s’en distraire, ce qui est vain, ce qui est lâche quand il s’agit de la perte de ceux que nous avons aimés.

En général, on nous a appris à la redouter, à la craindre, à la détester. Bien peu l’ont comprise ; bien peu l’ont expliquée ! Aussi, autour de nous, dans les rapports de chaque jour, combien sont devenues pauvres, banales, enfantines, les paroles de sympathie, les tentatives de consolation prodiguées à ceux que le malheur a touchés. Quels froids propos sur les lèvres, quelle absence de chaleur et de lumière dans les pensées et dans les cœurs ! Quelle faiblesse, quel vide dans les procédés employés pour réconforter les âmes endeuillées, procédés qui aggravent plutôt et redoublent leurs maux, leur tristesse. Tout cela résulte uniquement de l’obscurité qui règne sur le problème de la douleur, des fausses données répandues dans les esprits par les doctrines négatives et certaines philosophies spiritualistes.

En effet, c’est le propre des théories erronées de décourager, d’accabler, d’assombrir l’âme aux heures difficiles, au lieu de lui procurer les moyens de faire face au destin avec une ferme résolution. Et les religions, pourrait-on me dire ? Oui, sans doute, les religions ont trouvé des secours spirituels pour les âmes en détresse ; cependant les consolations qu’elles offrent reposent sur une conception trop étroite du but de la vie et des lois de la destinée. Nous l’avons suffisamment démontré pour n’avoir pas à y revenir.

Les religions chrétiennes, surtout, ont compris le rôle grandiose de la souffrance, mais elles en ont exagéré, dénaturé le sens. Le paganisme exprimait la joie ; ses dieux se couronnaient de fleurs, et présidaient aux fêtes. Pourtant, les stoïciens et, avec eux, certaines écoles secrètes considéraient déjà la douleur comme un élément indispensable à l’ordre du monde. Le christianisme, lui, l’a glorifiée, déifiée en la personne de Jésus. Devant la croix du Calvaire, l’humanité a trouvé la sienne moins lourde. Le souvenir du grand supplicié a aidé les hommes à souffrir et à mourir.

Toutefois, en poussant les choses à l’extrême, le christianisme a donné à la vie, à la mort, à la religion, à Dieu des aspects lugubres, parfois terrifiants. Il est nécessaire de réagir et de remettre les choses au point, car en raison même des excès des religions, celles-ci voient s’amoindrir chaque jour leur empire. Le matérialisme gagne peu à peu le terrain qu’elles ont perdu ; la conscience populaire s’obscurcit ; la notion du devoir s’effondre, faute d’une doctrine adaptée aux nécessités du temps et aux besoins de l’évolution humaine.

C’est pourquoi nous dirons aux prêtres de toutes les religions : «Elargissez le cadre de vos enseignements ; donnez à l’homme une notion plus étendue, de ses destins, une vue plus claire de l’Au-delà, une idée plus haute du but à atteindre. Faites-lui comprendre que son œuvre consiste à construire lui-même, avec l’aide de la douleur, sa conscience, sa personnalité morale, et cela à travers l’infini des temps et des espaces. Si, à l’heure présente, votre influence s’affaiblit, si votre puissance est ébranlée, ce n’est pas à cause de la morale que vous enseignez. C’est par suite de l’insuffisance de votre conception de la vie, qui ne montre pas nettement la justice dans les lois et dans les choses et, par conséquent, ne montre pas Dieu.

Vos théologies ont enfermé la pensée dans un cercle qui l’étouffe ; elles lui ont fixé une base trop restreinte et, sur cette base, tout l’édifice chancelle et menace de s’écrouler. Cessez de discuter sur des textes et d’opprimer les consciences ; sortez des cryptes où vous avez enfermé l’esprit ; marchez et agissez !» Une nouvelle doctrine se lève, grandit, s’étend, qui aidera la pensée à accomplir son œuvre de transformation.

Ce nouveau spiritualisme contient toutes les ressources nécessaires pour consoler les afflictions, enrichir la philosophie, régénérer les religions, s’attirer à la fois l’affection du plus humble disciple et le respect du plus fier génie. Il peut satisfaire les plus nobles élans de l’intelligence et les aspirations du cœur. Et, en même temps, il explique la faiblesse humaine, le côté obscur, tourmenté de l’âme inférieure livrée aux passions et il lui procure les moyens de s’élever à la connaissance et à la plénitude. Enfin, il constitue le remède moral le plus puissant contre la douleur.

Dans l’explication qu’il en donne, dans les consolations qu’il vient offrir à l’infortune, se trouve la preuve la plus évidente, la plus touchante de son caractère véridique et de sa solidité inébranlable. Mieux que toute autre doctrine philosophique ou religieuse, il nous révèle le grand rôle de la souffrance et nous apprend à l’accepter. En faisant d’elle un procédé éducatif ou réparateur, il nous montre la justice et l’amour divins intervenant jusque dans nos épreuves et dans nos maux.

Au lieu de ces désespérés que les doctrines négatives font de nous, au lieu de ces déchus, de ces réprouvés, ou de ces maudits, le spiritisme nous montre dans les malheureux, des apprentis, des néophytes que la douleur éclaire, initie, des candidats à la perfection et au bonheur. En donnant à la vie un but infini, le nouveau spiritualisme vient de nous offrir une raison de vivre et de souffrir qui mérite vraiment que l’on vive et que l’on souffre, en un mot, un objectif digne de l’âme et digne de Dieu.

Dans le désordre apparent et la confusion des choses, il nous montre l’ordre qui, lentement, s’ébauche et se réalise, le futur qui s’élabore dans le présent et, au-dessus de tout, le déploiement d’une immense et divine harmonie. Et voyez les conséquences de cet enseignement. La douleur perd son caractère effrayant ; elle n’est plus un ennemi, un monstre redouté ; c’est un aide, un auxiliaire, et son rôle est providentiel. Elle purifie, grandit, refond l’être dans sa flamme ; elle le revêt d’une beauté qu’on ne lui connaissait pas.

L’homme, d’abord étonné, inquiet à son aspect, apprend à la connaître, à l’apprécier, à se familiariser avec elle ; il finit presque par l’aimer. Certaines âmes héroïques, au lieu de s’en détourner, de la fuir, iront à elle pour s’y plonger librement et s’y régénérer. La destinée, étant illimitée, nous ménage des possibilités toujours nouvelles d’amélioration. La souffrance n’est qu’un correctif à nos abus, à nos erreurs, un stimulant dans notre marche.

Ainsi les lois souveraines se montrent parfaitement justes et bonnes. Elles n’infligent à personne des peines inutiles ou imméritées. L’étude de l’univers moral nous remplit d’admiration pour la Puissance qui, au moyen de la douleur, transforme peu à peu les forces du mal en forces du bien, fait sortir du vice la vertu, de l’égoïsme l’amour ! Dès lors, assuré du résultat de ses efforts, l’homme accepte avec courage les épreuves inévitables.

La vieillesse peut venir, la vie décroître et rouler sur la pente rapide des ans, sa foi l’aide à traverser les périodes accidentées et les heures tristes de l’existence. A mesure que celle-ci décline et s’enveloppe de brume, la grande lumière de l’Au-delà se fait plus vive et le sentiment de la justice, de la bonté, de l’amour qui président à la destinée de tous les êtres, devient pour lui une force aux heures de lassitude ; elle lui rend plus facile la préparation au départ.

Pour le matérialiste et même pour beaucoup de croyants, le décès des êtres aimés creuse entre eux et nous un abîme que rien ne peut combler, abîme d’ombre, et de nuit où ne brille un seul rayon, aucune espérance. Le protestant, incertain de leur destinée, ne prie même pas pour ses morts.

Le catholique, non moins anxieux, peut redouter pour les siens le jugement qui sépare à jamais les élus des réprouvés. Mais voici la doctrine nouvelle avec ses certitudes inébranlables. Pour ceux qui l’ont adoptée, la mort, comme la douleur, sera sans effroi. Chaque tombe qui se creuse est un portique de délivrance, une issue ouverte vers les libres espaces ; chaque ami qui disparaît va préparer la demeure future, jalonner la route à suivre sur laquelle nous nous rejoignons tous.

La séparation n’est même qu’apparente. Nous savons que ces âmes ne nous ont pas quittés sans retour ; une communion intime peut encore s’établir d’elles à nous. Si leurs manifestations, dans l’ordre sensible, rencontrent des obstacles, nous pourrons du moins correspondre avec elles par la pensée. Vous connaissez la loi télépathique. Il n’est pas de cri, pas de larme, pas d’appel d’amour qui n’ait sa répercussion et sa réponse.

Solidarité admirable des âmes pour qui nous prions et qui prient pour nous, échanges de pensées vibrantes et d’appels régénérateurs qui traversent l’espace, pénètrent les cœurs angoissés de radiations, de force et d’espérance et ne manquent jamais le but ! Vous croyiez souffrir seul, mais non : près de vous, autour de vous et jusque dans l’étendue sans bornes, il est des êtres qui vibrent de votre souffrance et participent à votre douleur. Ne la rendez pas trop vive, afin de les épargner eux-mêmes.

A la peine, à la tristesse humaine, Dieu a donné pour compagne la sympathie céleste. Et cette sympathie prend souvent la forme d’un être aimé qui, dans les jours d’épreuves, descend, plein de sollicitude, et recueille chacune de nos douleurs pour nous en faire une couronne de lumière dans l’espace. Combien d’époux, de fiancés, d’amants, séparés par la mort, vivent dans une union nouvelle, plus étroite et plus intime.

 


 

Bibliographie

 

* Cet article en plusieurs épisodes fut construit à partir des extraits de l’œuvre de Léon Denis « Le Problème de l’Être et de la Destinée », dans son chapitre – « La douleur ».