Deuxième Partie
X – L’Ame Immortelle.
L’étude de l’univers nous conduit à l’étude de l’âme, à la recherche du principe qui nous anime et dirige nos actes.
La physiologie nous apprend que les différentes parties du corps humain se renouvellent dans une période de quelques années. Sous l’action de deux grands courants vitaux, un échange perpétuel de molécules se produit en nous ; celles qui disparaissent de l’organisme sont remplacées une à une par d’autres provenant de l’alimentation.
Depuis les substances molles du cerveau jusqu’aux parties les plus dures de la charpente osseuse, tout notre être physique est soumis à de continuels changements. Notre corps se dissout et se reforme nombre de fois durant la vie. Cependant, malgré ces transformations constantes, à travers les modifications du corps matériel, nous restons toujours la même personne.
La matière de notre cerveau peut se renouveler, mais notre pensée subsiste et, avec elle, notre mémoire, le souvenir d’un passé auquel notre corps actuel n’as point participé. Il y a donc en nous un principe distinct de la matière, une force indivisible qui persiste et se maintient au milieu de ces perpétuels changements.
Nous savons que la matière ne peut d’elle-même s’organiser et produire la vie. Dépourvue d’unité, elle se désagrège et se divise à l’infini. En nous, au contraire, toutes les facultés, toutes les puissances intellectuelles et morales se groupent dans une unité centrale qui les embrasse, les relie, les éclaire ; et cette unité, c’est la conscience, la personnalité, le moi, en un mot, l’âme.
L’âme est le principe de la vie, la cause de la sensation ; c’est la force invisible, indissoluble, qui régit notre organisme et maintient l’accord entre toutes les parties de notre être (1). Les facultés de l’âme n’ont rien de commun avec la matière.
L’intelligence, la raison, le jugement, la volonté, ne sauraient être confondus avec le sang de nos veines ou la chair de nos muscles. Il en est de même de la conscience, de ce privilège que nous avons de peser nos actes, de discerner le bien du mal. Ce langage intime qui s’adresse à tout homme, au plus humble comme au plus élevé, cette voix dont les murmures peuvent troubler l’éclat des plus grandes gloires, n’a rien de matériel.
Des courants opposés s’agitent en nous. Les appétits, les désirs passionnels s’y heurtent contre la raison et le sentiment du devoir. Or, si nous n’étions que matière, nous ne connaîtrions pas ces luttes, ces combats ; nous nous laisserions aller sans regrets, sans remords, à nos tendances naturelles. Au contraire, notre volonté est fréquemment en conflit avec nos instincts. Par elle, nous pouvons échapper aux influences de la matière, la dompter, en faire un instrument docile.
Ne voit-on pas des hommes, nés dans les conditions les plus difficiles, surmonter tous les obstacles, la pauvreté, la maladie, les infirmités, et parvenir au premier rang par leurs énergiques et persévérants efforts ?
Ne voit-on pas la supériorité de l’âme sur le corps s’affirmer d’une manière plus éclatante encore dans le spectacle des grands sacrifices et des dévouements historiques ? Personne n’ignore comment les martyrs du devoir, de la vérité révélée avant l’heure, comment tous ceux qui, pour le bien de l’humanité, ont été persécutés, suppliciés, attachés au gibet, ont pu, au milieu des tortures, jusqu’au seuil de la mort, dominer la matière et, au nom d’une grande cause, imposer silence aux révoltes de la chair !
S’il n’y avait en nous que matière, nous ne verrions pas, lorsque notre corps est plongé dans le sommeil, l’esprit continuer à vivre et agir sans l’aide d’aucun des cinq sens, et nous montrer par là qu’une activité incessante est la condition même de sa nature. La lucidité magnétique, la vision à distance sans le secours des yeux, la prévision des faits, la pénétration de la pensée, sont autant de preuves évidentes de l’existence de l’âme.
Ainsi donc, faible ou puissant, ignorant ou éclairé, un esprit vit en nous, régit ce corps qui n’est, sous sa direction, qu’un serviteur, un simple instrument. Cet esprit est libre et perfectible, par suite responsable. Il peut à son gré s’améliorer, se transformer, tendre vers le bien.
Confus chez les uns, lumineux chez les autres, un idéal éclaire sa voie. Plus cet idéal est grand, plus les œuvres qu’il inspire sont utiles et glorieuses. Heureuse l’âme qu’un noble enthousiasme soutient dans sa marche : amour de la vérité, de la justice, de la patrie, de l’humanité !
Son ascension sera rapide, son passage ici-bas laissera des traces profondes, un sillon d’où lèvera une moisson bénie.
L’existence de l’âme établie, le problème de l’immortalité se pose aussitôt. C’est là une question de la plus grande importance, car l’immortalité est la seule sanction qui s’offre à la loi morale, la seule conception qui satisfasse nos idées de justice et réponde aux plus hautes espérances de la race humaine.
Si notre entité spirituelle se maintient et persiste à travers le perpétuel renouvellement des molécules et les transformations de notre corps matériel, leur dissociation, leur disparition finale ne sauraient l’atteindre davantage dans son existence.
Nous avons vu que rien ne s’anéantit dans l’univers. Lorsque la chimie et la physique nous démontrent que nul atome ne se perd, qu’aucune force ne s’évanouit, comment croire que cette unité en laquelle se résument toutes les puissances intellectuelles, arrive à se dissoudre ? Comment croire que ce moi conscient, en qui la vie se dégage des chaînes de la fatalité, puisse s’anéantir ?
Non seulement la logique et la morale, mais encore – ainsi que nous l’établirons plus loin – les faits eux-mêmes, faits d’ordre sensible, à la fois physiologiques et psychiques, tout concourt à prouver la persistance de l’être conscient : l’âme se retrouve au-delà du tombeau telle qu’elle s’est faite elle-même par ses actes et ses travaux dans le cours de son existence terrestre.
Si la mort était le dernier mot de toutes choses, si nos destinées se limitaient à cette vie fugitive, aurions-nous ces aspirations vers un état meilleur, vers un état parfait, dont rien sur terre ne peut nous donner l’idée ? Aurions-nous cette soif de connaître, de savoir, que rien ne peut apaiser ? Si tout cessait au tombeau, pourquoi ces besoins, ces rêves, ces tendances inexplicables ? Ce cri puissant de l’être humain qui retentit à travers les siècles, ces espérances infinies, ces élans irrésistibles vers le progrès et la lumière, ne seraient-ils que les attributs d’une ombre passagère, d’une agrégation de molécules à peine formée, aussitôt évanouie ? Qu’est donc la vie terrestre, si courte qu’elle ne nous permet même pas, dans sa plus grande durée, d’atteindre les bornes de la science ; si pleine d’impuissance, d’amertume, de désillusion, que n’elle rien ne nous satisfait entièrement ; à tel point qu’après avoir saisi l’objet de nos désirs, nous restons insatiables et nous laissons emporter vers un but toujours plus lointain, plus inaccessible ?
La persistance que nous mettons à poursuivre, malgré les déceptions, un idéal qui n’est pas de ce monde, un bonheur qui nous fuit toujours, est une indication suffisante qu’il y a autre chose que la vie présente. La nature ne saurait donner à l’être des aspirations, des espérances irréalisables. Les besoins illimités de l’âme appellent forcément une vie sans limites.
XI – La Pluralité des Existences.
Sous quelle forme se déroule la vie immortelle, et qu’est-ce en réalité que la vie de l’âme ? Pour répondre à ces questions, il nous faut reprendre à sa source et examiner dans son ensemble le problème des existences.
Nous savons que, sur notre globe, la vie apparaît d’abord sous les aspects les plus simples, les plus élémentaires, pour s’élever, par une progression constante, de formes en formes, d’espèces en espèces, jusqu’au type humain, couronnement de la création terrestre.
Graduellement, les organismes se développent et s’affinent, la sensibilité s’accroît. Lentement, la vie se dégage des étreintes de la matière ; l’instinct aveugle fait place à l’intelligence et à la raison. Cette échelle de l’évolution progressive, dont les bas degrés plongent dans un ténébreux abîme, chaque âme l’a-t-elle parcourue ?
Avant d’acquérir la conscience et la liberté, avant de se posséder dans la plénitude de sa volonté, a-t-elle dû animer les organismes rudimentaires, revêtir les formes inférieures de la vie ? L’étude du caractère humain, encore empreint de bestialité, nous porterait à le croire. Cependant, la question reste pendante (2).
Le sentiment de l’absolue justice nous dit que l’animal, pas plus que l’homme, ne doit vivre et souffrir en vue du néant. Une chaîne ascendante et continue semble relier toutes les créations, le minéral au végétal, le végétal à l’animal, et celui-ci à l’homme. Elle peut les relier doublement, au matériel comme au spirituel. Ces deux formes de l’évolution seraient parallèles et solidaires, la vie n’étant qu’une manifestation de l’esprit.
Quoi qu’il en soit, l’âme, parvenue à l’état humain, et ayant acquis la conscience, ne peut plus redescendre. A tous les degrés, les formes qu’elle revêt sont l’expression de sa valeur propre. Il ne faut pas accuser Dieu d’avoir créé des formes hideuses et malfaisantes. Les êtres ne peuvent avoir d’autres apparences que celles résultant de leurs tendances et des habitudes contractées. Il arrive que des âmes humaines choisissent des corps débiles et souffreteux, pour comprimer leurs passions et acquérir les qualités nécessaires à leur avancement ; mais, dans la nature inférieure, aucun choix ne saurait s’exercer ; l’être retombe forcément sous l’empire des attractions qu’il a développées en lui.
Ce développement graduel peut être constaté par tout observateur attentif. Chez les animaux domestiques, les différences de caractère sont appréciables. Dans les mêmes espèces, certains individus paraissent beaucoup plus avancés que d’autres. Quelques-uns possèdent des qualités qui les rapprochent sensiblement de l’homme, et sont susceptibles d’affection et de dévouement. La matière étant incapable d’aimer et de sentir, il faut bien admettre l’existence en eux d’une âme à l’état embryonnaire.
Il n’est d’ailleurs rien de plus grand, de plus juste, de plus conforme à la loi du progrès que cette ascension des âmes s’opérant par étapes successives, au cours desquelles elles se forment elles-mêmes, s’affranchissent peu à peu des lourds instincts, brisent leur carapace d’égoïsme pour s’éveiller à la raison, à l’amour, à la liberté.
Il est souverainement équitable qu’un même apprentissage soit subi par tous, et que chaque être ne gagne un état supérieur qu’après avoir acquis des aptitudes nouvelles.
Le jour où l’âme, parvenue à l’état humain, a conquis son autonomie, sa responsabilité morale et compris le devoir, elle n’a pas pour cela atteint son but, terminé son évolution. Loin de finir, son œuvre réelle commence ; de nouvelles tâches l’appellent. Les luttes du passé ne sont que le prélude de celles que l’avenir lui réserve. Ses renaissances en des corps charnels se succéderont sur ce globe.
Chaque fois, elle reprendra, avec des organes rajeunis, l’œuvre de perfectionnement interrompue par la mort, pour la poursuivre et aller plus loin. Voyageuse éternelle, l’âme doit monter ainsi de sphère en sphère vers le bien, vers la raison infinie, acquérir de nouveaux grades, croître en science, en sagesse, en vertu.
Chacune de nos existences terrestres n’est qu’un épisode de notre vie immortelle. Nulle âme ne pourrait, dans ce court espace, dépouiller ses vices, ses erreurs, tous les appétits vulgaires qui sont autant de vestiges de ses vies évanouies, autant de preuves de son origine.
En mesurant le temps qu’il a fallu à l’humanité, depuis son apparition sur le globe, pour arriver à l’état de civilisation, nous comprendrons que, pour réaliser ses destinées, pour monter de clartés en clartés vers l’absolu, vers le divin, il faille à l’âme des périodes sans limites, des vies toujours renaissantes (3).
La pluralité des existences peut seule expliquer la diversité des caractères, la variété des aptitudes, la disproportion des qualités morales, en un mot, toutes les inégalités qui frappent notre attention. En dehors de cette loi, on se demanderait en vain pourquoi certains hommes possèdent le talent, de nobles sentiments, des aspirations élevées, alors que tant d’autres n’ont en partage que sottise, passions viles et instincts grossiers.
Que penser d’un Dieu qui, en nous assignant une seule vie corporelle, nous aurait fait des parts aussi inégales et, du sauvage au civilisé, aurait réservé aux hommes des biens si peu assortis et un niveau moral si différent ? Sans la loi des réincarnations, c’est l’iniquité qui gouverne le monde.
L’influence des milieux, l’hérédité, les différences dans l’éducation, tout en ayant leur importance, ne suffisent pas davantage à expliquer ces anomalies. Nous voyons les membres d’une même famille, semblables par la chair et par le sang, nourris des mêmes enseignements, différer sur bien des points. Des hommes excellents ont eu pour fils des monstres, par exemple Marc-Aurèle, qui engendra Commode ; et des personnages célèbres et estimés sont issus de parents obscurs, dépourvus de valeur morale.
Si tout commençait pour nous avec la vie actuelle, comment expliquer tant de diversité dans les intelligences, tant de degrés dans la vertu ou le vice, tant d’échelons dans les situations humaines ? Un mystère impénétrable planerait sur ces génies précoces, sur ces esprits prodigieux qui, dès leur enfance, s’élancent avec fougue dans les sentiers de l’art et de la science, alors que tant de jeunes hommes pâtissent dans l’étude et restent médiocres malgré leurs efforts.
Toutes ces obscurités se dissipent devant la doctrine des existences multiples. Les êtres qui se distinguent par leur puissance intellectuelle ou leurs vertus, ont plus vécu, travaillé davantage, acquis une expérience et des aptitudes plus étendues. Les progrès et l’élévation des âmes dépendent uniquement de leurs travaux, de l’énergie déployée par elles dans le combat vital. Les unes luttent avec courage et franchissent rapidement les degrés qui les séparent de la vie supérieure, tandis que d’autres s’immobilisent durant des siècles par des existences oisives et stériles. Mais ces inégalités, résultat des agissements du passé, peuvent être rachetées et nivelées par nos vies futures.
En résumé, l’être se crée lui-même par le développement graduel des forces qui sont en lui. Inconsciente au début de sa course, sa vie devient plus intelligente et consciente lorsque, parvenu à l’humanité, il est entré en possession de son moi. Encore sa liberté est-elle limitée par l’action des lois naturelles qui interviennent pour assurer sa conservation. Ainsi, libre arbitre et fatalisme s’équilibrent et se tempèrent l’un par l’autre. La liberté et, par suite, la responsabilité sont toujours proportionnelles à l’avancement de l’être.
Telle est la seule solution rationnelle du problème. A travers la succession des temps, à la surface de milliers de mondes, nos existences se déroulent, passent et se renouvellent ; à chacune d’elles, un peu du mal qui est en nous disparaît ; nos âmes se fortifient, s’épurent, pénètrent plus avant dans la voie sacrée, jusqu’à ce que, délivrées des réincarnations douloureuses, elles aient conquis par leurs mérites l’accès des cercles supérieurs, où rayonnent éternellement beauté, sagesse, puissance, amour !
XII – Le But de la Vie.
Par ces données, la clarté se fait en nous et autour de nous ; notre route se précise : nous savons ce que nous sommes et où nous allons.
Dès lors, il ne s’agit plus de rechercher des satisfactions matérielles, mais de travailler avec ardeur à notre avancement. Le but suprême est la perfection ; la voie qui y conduit, c’est le progrès ; elle est longue, et se parcourt pas à pas. Le but, lointain, semble reculer à mesure qu’on avance, mais, à chaque étape franchie, l’être recueille le fruit de ses peines ; il enrichit son expérience et développe ses facultés.
Nos destinées sont identiques. Il n’est point de privilégiés, point de maudits. Tous parcourent le même chemin et, à travers mille obstacles, sont appelés, à réaliser les mêmes fins. Nous sommes libres, il est vrai, d’accélérer ou de ralentir notre marche, de nous plonger dans les jouissances grossières, de nous attarder pendant des vies entières dans le vice ou l’oisiveté, mais tôt ou tard le sentiment du devoir se réveille, la douleur vient secouer notre apathie, et nous reprenons forcément notre course.
Il n’y a entre les âmes que des différences de degrés, différences qu’il leur est loisible de combler dans l’avenir. Usant de notre libre arbitre, nous n’avons pas tous marché du même pas, et cela explique l’inégalité intellectuelle et morale des hommes ; mais tous, enfants du même Père, nous devons nous rapprocher de lui dans la succession de nos existences, pour ne former avec nos semblables qu’une seule famille, la grande famille des Esprits, qui peuple tout l’univers.
Il n’est plus de place dans le monde pour les idées de paradis et d’enfer éternel. Nous ne voyons dans l’immensité que des êtres poursuivant leur propre éducation et s’élevant par leurs efforts au sein de l’universelle harmonie. Chacun d’eux crée sa situation par ses actes, dont les conséquences retombent sur lui, le lient et l’enserrent. Quand sa vie est livrée aux passions et reste stérile pour le bien, l’être s’abaisse ; sa situation s’amoindrit. Pour laver ses souillures, il devra se réincarner sur les mondes d’épreuve et s’y purifier par la souffrance. Cette purification accomplie, son évolution recommence. Il n’est pas d’épreuves éternelles, mais il faut une réparation proportionnée aux fautes commises.
Nous n’avons d’autre juge et d’autre bourreau que notre conscience. Mais celle-ci, lorsqu’elle se dégage des ombres matérielles, devient impérieuse et obsédante. Dans l’ordre moral, comme dans l’ordre physique, il n’y a que des causes et des effets. Ces derniers sont régis par une loi souveraine, immuable, infaillible. Ce que, dans notre ignorance, nous appelons l’injustice du sort n’est que la réparation du passé. La destinée humaine, c’est le paiement de la dette contractée envers nous-mêmes et envers la loi.
La vie actuelle est donc la conséquence directe, inévitable de nos vies passées, comme notre vie future sera la résultante de nos actions présentes. En venant animer un corps nouveau, l’âme apporte avec elle, à chaque renaissance, le bagage de ses qualités et de ses défauts, tous les biens et les maux accumulés par l’œuvre du passé. Ainsi, dans la suite de nos vies, nous construisons de nos propres mains notre être moral, nous édifions notre avenir, nous préparons le milieu où nous devons renaître, la place que nous devons occuper.
Avec la loi de réincarnation, la souveraine justice rayonne sur les mondes. Chaque être, arrivé à se posséder dans sa raison et dans sa conscience, devient l’artisan de ses destinées et forge ou brise à volonté les chaînes qui le rivent à la matière. Les situations douloureuses que subissent certains hommes s’expliquent par l’action de cette loi. Toute vie coupable doit être rachetée. Une heure vient où les âmes orgueilleuses renaissent dans des conditions humbles et serviles, où l’oisif doit accepter de pénibles labeurs. Celui qui a fait souffrir souffrira à son tour.
Cependant, l’âme n’est pas attachée pour toujours à cette terre obscure. Après avoir acquis les qualités nécessaires, elle la quitte pour des mondes plus éclairés. Elle parcourt le champ des espaces semé de sphères et de soleils. Une place lui sera faite au sein des humanités qui les peuplent. Progressant encore dans ces milieux nouveaux, elle ajoutera sans cesse à sa richesse morale et à son savoir. Après un nombre incalculable de morts et de renaissances, de chutes et d’ascensions, délivrée des réincarnations, elle jouira de la vie céleste, dans laquelle elle participera au gouvernement des êtres et des choses, en contribuant par ses œuvres à l’harmonie universelle et à l’exécution du plan divin.
Tel est le mystère de Psyché, l’âme humaine. L’âme porte, gravée en elle, la loi de ses destinées. Apprendre à en épeler les préceptes, à déchiffrer cette énigme, voilà la véritable science de la vie. Chaque étincelle arrachée au foyer divin, chaque conquête sur elle-même, sur ses passions, sur ses instincts égoïstes, lui procure une joie intime, d’autant plus vive que cette conquête lui a plus coûté. Et c’est là le ciel promis à nos efforts. Ce ciel n’est pas loin de nous : il est en nous. Félicités ou remords, l’homme porte au plus profond de son être sa grandeur ou sa misère, conséquence de ses actes. Les voix, mélodieuses ou sévères, qui s’élèvent en lui, sont les interprètes fidèles de la grande loi, d’autant plus puissantes qu’il est monté plus haut sur la voie du perfectionnement.
L’âme est un monde, un monde où se mêlent encore les ombres et les rayons, et dont l’étude attentive nous fait marcher de surprise en surprise. Dans ses replis, toutes les puissances sont en germe, attendant l’heure de la fécondation pour s’épanouir en gerbes de lumière. A mesure qu’elle se purifie, ses perceptions s’accroissent. Tout ce qui nous charme dans son état présent, les dons du talent, les éclairs du génie, tout cela est peu, comparé à ce qu’elle acquerra un jour, quand elle sera parvenue aux suprêmes altitudes. Déjà elle possède d’immenses ressources cachées, des sens intimes, variés et subtils, sources de vives impressions, dont notre grossière enveloppe entrave presque toujours l’exercice.
Seules, quelques âmes d’élite, détachées par anticipation des choses terrestres, épurées par le sacrifice, en ont ressenti les prémices en ce monde. Mais elles n’ont point trouvé d’expressions pour décrire les sensations qui les avaient enivrées. Et, dans leur ignorance de la véritable nature de l’âme et des trésors qu’elle contient, les hommes ont ri de ce qu’ils appelaient illusions et chimères.
XIII – Les Epreuves de la Mort.
Le but de l’existence étant fixé, plus haut que la fortune, plus haut que le bonheur, toute une révolution se produit dans nos vues. L’univers est une arène où l’âme lutte pour son élévation ; elle l’obtient par ses travaux, par ses sacrifices, par ses souffrances.
La souffrance, soit physique, soit morale, est un des éléments nécessaires de l’évolution, un puissant moyen de développement et de progrès. Elle nous apprend à nous mieux connaître, à dominer nos passions et à mieux aimer les autres. Ce que l’être doit chercher dans sa course, c’est à la fois la science et l’amour. Plus on sait, plus on aime, plus on s’élève. La souffrance nous oblige à étudier, pour les combattre et pour les vaincre, les causes qui la font naître, et la connaissance de ces causes éveille en nous une sympathie plus vive pour ceux qui souffrent.
La douleur est la purification suprême, l’école où s’apprennent la patience, la résignation, tous les austères devoirs. C’est la fournaise où fond l’égoïsme, où se dissout l’orgueil. Parfois, aux heures sombres, l’âme éprouvée se révolte, renie Dieu et sa justice ; puis, quand la tourmente est passée et qu’elle s’examine, elle voit que ce mal apparent était un bien ; elle reconnaît que la douleur l’a rendue meilleure, plus accessible à la pitié, plus secourable aux malheureux.
Tous les maux de la vie concourent à notre perfectionnement. Par l’humiliation, les infirmités, les revers, lentement, le mieux se dégage du pire. C’est pourquoi il y a ici-bas plus de souffrance que de joie. L’épreuve trempe les caractères, affine les sentiments, dompte les âmes fougueuses ou altières.
La douleur physique a aussi son utilité. Elle dénoue chimiquement les liens qui enchaînent l’esprit à la chair ; elle le dégage des fluides grossiers qui l’enveloppent, même après la mort, et le retiennent dans les régions inférieures (4).
Ne maudissons pas la douleur ; elle seule nous arrache à l’indifférence, à la volupté. Elle sculpte notre âme, lui donne sa forme la plus pure, sa plus parfaite beauté.
L’épreuve est un remède infaillible à notre inexpérience. La Providence procède envers nous comme une mère prévoyante envers son enfant indocile. Quand nous résistons à ses appels, quand nous refusons de suivre ses avis, elle nous laisse subir déceptions et revers, sachant que l’adversité est la meilleure école où s’apprenne la sagesse.
Tel est le destin du plus grand nombre ici-bas. Sous un ciel parfois sillonné d’éclairs, il faut suivre le chemin ardu, les pieds déchirés par les pierres et les ronces. Un esprit vêtu de noir guide nos pas : c’est la douleur, douleur sainte que nous devons bénir, car elle seule, en secouant notre être, le dégage des vains hochets dont il aime à se parer, le rend apte à sentir ce qui est vraiment noble et beau.
Ces enseignements font perdre à la mort, tout caractère effrayant ; elle n’est plus qu’une transformation nécessaire, un renouvellement. En réalité, rien ne meurt. La mort n’est qu’apparente. La forme extérieure seule change ; le principe de la vie, l’âme, demeure en son unité permanente, indestructible. Elle se retrouve au-delà du tombeau, elle et son corps fluidique, dans la plénitude de ses facultés, avec toutes les acquisitions : lumières, aspirations, vertus, puissances, dont elle s’est enrichie durant ses existences terrestres. Voilà les biens impérissables dont parle l’Évangile, lorsqu’il dit : « Ni les vers ni la rouille ne les rongent, et les voleurs ne les dérobent point. » Ce sont les seules richesses qu’il nous soit possible d’emporter avec nous, d’utiliser dans la vie à venir.
La mort et la réincarnation, qui la suit dans un temps donné, sont deux formes essentielles du progrès. En rompant les habitudes étroites que nous avions contractées, elles nous replacent dans des milieux différents ; elles donnent à nos pensées un nouvel essor ; elles nous obligent à adapter notre esprit aux mille faces de l’ordre social et universel.
Lorsque le soir de la vie est venu, lorsque notre existence, semblable à la page d’un livre, va se tourner pour faire place à une page blanche, à une page nouvelle, le sage passe en revue ses actes.
Heureux celui qui, à cette heure, peut se dire : Mes jours ont été bien remplis ! Heureux celui qui a accepté avec résignation, supporté avec courage ses épreuves ! Celles-ci, en déchirant son âme, ont laissé s’épancher au-dehors tout ce qu’il y avait en elle d’amertume et de fiel. Repassant dans sa pensée cette vie difficile le sage bénira les souffrances endurées. Sa conscience étant en paix, il verra sans crainte s’approcher l’instant du départ. Disons adieu aux théories qui font de la mort le prélude du néant ou de châtiments sans fin.
Adieu, sombres fantômes de la théologie, dogmes effrayants, sentences inexorables, supplices infernaux ! Place à l’espérance ! Place à l’éternelle vie ! Ce ne sont pas d’obscures ténèbres, c’est une lumière éblouissante qui sort des tombeaux. Avez-vous vu le papillon aux ailes diaprées dépouiller l’informe chrysalide où s’est enfermée la chenille répugnante ? Avez-vous vu l’insecte qui, jadis, rampait sur le sol, maintenant libre, affranchi, voltiger dans l’air ensoleillé, au milieu du parfum des fleurs ? Il n’est pas de plus fidèle image du phénomène de la mort. L’homme aussi est une chrysalide, que la mort décompose. Le corps humain, vêtement de chair, dépouille misérable, retourne au laboratoire de la nature ; mais l’esprit, après avoir accompli son œuvre, s’élance vers une vie plus haute, vers cette vie spirituelle qui succède à l’existence corporelle, comme le jour succède à la nuit, et sépare chacune de nos incarnations.
Pénétrés de ces vues, nous ne redouterons plus la mort. Comme nos pères, les Gaulois, nous oserons la regarder en face, sans terreur. Plus de craintes ni de larmes, plus d’appareils sinistres ni de chants lugubres. Nos funérailles deviendront une fête, par laquelle nous célébrerons la délivrance de l’âme, son retour à la véritable patrie.
La mort est la grande révélatrice. Aux heures d’épreuves, quand il fait sombre autour de nous, parfois nous nous sommes demandés : Pourquoi suis-je né ? Pourquoi ne suis-je pas demeuré dans la profonde nuit, là où l’on ne sent pas, où l’on ne souffre pas, où l’on dort de l’éternel sommeil ?
Et, à ces heures de doute, d’angoisse, de détresse, une voix montait jusqu’à nous, et cette voix disait :
Souffre pour t’agrandir et pour t’épurer ! Sache que ta destinée est grande. Cette froide terre ne sera pas ton sépulcre. Les mondes qui brillent au front des cieux sont tes demeures à venir, l’héritage que Dieu te réserve. Tu es pour jamais citoyen de l’univers ; tu appartiens aux siècles futurs comme aux siècles passés, et, à l’heure présente, tu prépares ton élévation. Supporte donc avec calme les maux par toi-même choisis. Sème dans la douleur et dans les larmes le grain qui lèvera dans tes prochaines vies ; sème aussi pour les autres, comme d’autres ont semé pour toi !
Esprit immortel, avance d’un pas ferme dans le sentier escarpé vers les hauteurs d’où l’avenir t’apparaîtra sans voile. L’ascension est rude, et la sueur inondera souvent ton visage ; mais, du sommet, tu verras poindre la grande lumière, tu verras briller à l’horizon le soleil de vérité et de justice !
La voix qui nous parle ainsi est celle des morts, celle des âmes aimées qui nous ont devancés au pays de la véritable vie. Bien loin de dormir sous la pierre, elles veillent sur nous. Du fond de l’invisible, elles nous regardent et nous sourient. Adorable et divin mystère ! Elles communiquent avec nous. Elles nous disent : Plus de doutes stériles ; travaillez et aimez. Un jour, votre tâche remplie, la mort nous réunira !
Objections
On le voit, bien des questions, restées insolubles pour un grand nombre d’écoles, sont résolues par la doctrine des vies successives. Les terribles objections à l’aide desquelles le scepticisme et le matérialisme ont fait brèche dans l’édifice théologique : le mal, la douleur, l’inégalité des mérites et des conditions humaines, l’injustice apparente du sort, toutes ces difficultés s’évanouissent devant la philosophie des Esprits.
Cependant, une difficulté subsiste, une objection se dresse avec force contre elle. Si nous avons déjà vécu dans le passé, si d’autres vies ont précédé la naissance, pourquoi en avons-nous perdu le souvenir ?
Cet obstacle, d’apparence redoutable, est facile à écarter. La mémoire des choses vécues, des actes accomplis, n’est pas une condition nécessaire de l’existence.
Aucun de nous ne se souvient du temps passe dans le sein de sa mère ou même au berceau. Peu d’hommes conservent la mémoire des impressions et des actes de la première enfance. Ce sont pourtant là des parties intégrantes de notre existence actuelle. Chaque matin, au réveil, nous perdons le souvenir de la plupart de nos rêves, bien que ces rêves nous aient semblé, dans le moment, autant de réalités. Il ne nous reste que les sensations confuses éprouvées par l’esprit retombé sous l’influence matérielle.
Nos jours et nos nuits sont comme nos vies terrestres et spirituelles, et le sommeil paraît aussi inexplicable que la mort. Tous deux nous transportent alternativement dans des milieux distincts et dans des conditions différentes, ce qui n’empêche pas notre identité de se maintenir et de persister à travers ces états variés.
Dans le sommeil magnétique, l’esprit, dégagé du corps, se souvient de choses qu’il oubliera à son retour dans la chair, mais dont il ressaisira l’enchaînement en revenant à l’état lucide.
Cet état de sommeil provoqué développe chez les somnambules des aptitudes spéciales, qui disparaissent à l’état de veille, étouffées, annihilées par l’enveloppe corporelle.
Dans ces diverses conditions, l’être psychique paraît traverser deux états de conscience, deux phases alternées de l’existence, qui s’enchaînent et s’enroulent l’une autour de l’autre. L’oubli, ainsi qu’un épais rideau, sépare le sommeil de l’état de veille, comme il sépare chaque vie terrestre des existences antérieures et de la vie de l’espace.
Si les impressions ressenties par l’âme dans le cours de la vie actuelle, à l’état de dégagement complet, soit par le sommeil naturel, soit par le sommeil provoqué, ne peuvent être transmises au cerveau, on doit comprendre que les souvenirs d’une vie antérieure le seraient plus difficilement encore. Le cerveau ne peut recevoir et emmagasiner que les impressions communiquées par l’âme à l’état de captivité dans la matière. La mémoire ne saurait reproduire que ce qu’elle a enregistré.
A chaque renaissance, l’organisme cérébral constitue, pour nous, comme un livre neuf sur lequel se gravent les sensations et les images. Rentrée dans la chair, l’âme perd le souvenir de tout ce qu’elle a vu et accompli à l’état libre, et elle ne le retrouvera qu’en abandonnant de nouveau sa prison temporaire.
L’oubli du passé est, pour l’homme, la condition indispensable de toute épreuve et de tout progrès terrestre. Ce passé de chacun de nous a ses taches et ses souillures.
En parcourant la série des temps évanouis, en traversent les âges de brutalité, nous avons dû accumuler bien des fautes, bien des iniquités. Échappés d’hier à la barbarie, le fardeau de ces souvenirs serait accablant pour nous.
La vie terrestre est parfois lourde à supporter. Elle la serait bien plus encore, si, au cortège de nos maux présents, venait s’ajouter la mémoire des souffrances ou des hontes passées.
Le souvenir de nos vies antérieures ne serait-il pas également lié au souvenir du passé des autres ? En remontant la chaîne de nos existences, la trame de notre propre histoire, nous retrouverions la trace des actions de nos semblables. Les inimitiés se perpétueraient ; les rivalités, les haines, la discorde se raviveraient de vies en vies, de siècle en siècle. Nos ennemis, nos victimes d’autrefois nous reconnaîtraient et nous poursuivraient de leur vengeance.
Il est bon que le voile de l’oubli nous cache les uns aux autres et, en faisant momentanément disparaître notre passé réciproque, nous épargne de pénibles souvenirs et, peut-être, d’incessants remords. La connaissance de nos fautes et des conséquences qu’elles entraînent, en se dressant devant nous comme une effrayante et perpétuelle menace, paralyserait nos efforts, rendrait notre vie insupportable et stérile.
Sans l’oubli, les grands coupables, les criminels célèbres seraient marqués pour l’éternité. Nous voyons les condamnés de la justice humaine, leur punition subie, poursuivis par la défiance universelle, repoussés avec horreur par une société qui leur refuse une place dans son sein et les rejette par là même dans l’armée du mal. Que serait-ce si les crimes du passé lointain se retraçaient à la vue de tous ?
Presque tous nous avons besoin de pardon et d’oubli. L’ombre qui cache nos faiblesses et nos misères soulage notre esprit, en nous rendant la réparation moins pénible. Après avoir bu les eaux du Léthé, nous renaissons plus allègrement à une vie nouvelle. Les fantômes du passé s’évanouissent. Transportés dans un milieu différent, notre être s’éveille à d’autres sensations, s’ouvre à d’autres influences, abandonne avec plus de facilité les errements et les habitudes qui avaient jadis retardé sa marche.
L’âme du coupable, renaissant sous la forme d’un petit enfant, trouve autour d’elle l’aide et la tendresse nécessaires à son relèvement. Dans cet être faible et charmant, nul ne songe à reconnaître l’esprit vicieux qui vient racheter un passé souillé.
Pour certains hommes, le passé n’est cependant pas absolument effacé. Le sentiment confus de ce qu’ils ont été couve au fond de leur conscience. C’est la source des intuitions, des idées innées, des vagues souvenirs et des mystérieux pressentiments, comme un écho affaibli des temps écoulés. En analysant ces impressions, en s’étudiant soi-même avec attention, il ne serait pas impossible de reconstituer ce passé, sinon dans ses détails, au moins dans ses traits principaux.
A l’issue de chaque existence, des souvenirs lointains renaissent peu à peu et sortent de l’ombre. Nous avançons pas à pas, en tâtonnant, dans la vie. La mort venue, progressivement tout s’éclaire. Le passé explique le présent, et l’avenir s’illumine d’un rayon nouveau.
L’âme, rendue à la vie spirituelle, recouvre la plénitude de ses facultés. Alors commence pour elle une période d’examen, de repos, de recueillement, pendant laquelle elle se juge et mesure le chemin parcouru. Elle reçoit les avis, les conseils d’Esprits plus avancés. Guidée par eux, elle prendra des résolutions viriles, et, le temps venu, choisissant un milieu favorable, elle redescendra dans un nouveau corps.
Revenue dans la chair, l’âme perdra encore la mémoire des vies passées, en même temps que le souvenir de cette vie spirituelle, la seule vraiment libre et complète, auprès de laquelle le séjour terrestre lui paraîtrait affreux. Longue sera la lutte, pénibles les efforts nécessaires pour reprendre conscience d’elle-même et recouvrer ses puissances cachées ; mais toujours elle conservera l’intuition, le vague sentiment des résolutions prises avant de renaître ; et, poursuivant le cours de ses existences, elle s’améliorera par le travail et la souffrance.