A Propos de l’enfer – I.

Comment a-t-on pu passer de la Bible, dans laquelle le mot enfer existe à peine, à cette représentation de supplices éternels si loin d’un Dieu de miséricorde ?
C’est ce qu’explique Léon Denis dans Christianisme et spiritisme. Son idée majeure pourrait se résumer ainsi : « La croyance à Satan et à l’enfer prit une place prépondérante dans la foi chrétienne. Au lieu de la religion de l’amour prêchée par Jésus, on eut la religion de la peur. »

Tout ceci s’est construit très progressivement. Après sa crucifixion, le Christ « descendit aux Enfers » (mot pluriel qui désigne donc le lieu où se réunissaient tous les morts). Selon les Écritures, le Christ apporte la rédemption aux âmes saintes qui montent alors au Ciel. Désormais, tous ceux qui meurent dans la foi, au lieu de descendre dans le séjour des morts, s’en vont directement auprès du Seigneur.

Le christianisme se développe ensuite, à partir du syncrétisme de différentes doctrines de l’époque qui incluent l’idée du jugement des âmes, sous l’influence d’un certain Saul, plus connu sous le nom de Paul de Tarse ou saint Paul pour les chrétiens.

Mais au IIIème siècle, l’empereur Constantin a besoin d’unifier son empire autour d’une seule croyance. Il récupère donc le mouvement chrétien initié par Paul de Tarse afin de mieux contrôler son peuple. On consolide les Évangiles, à partir de textes d’anonymes, dans l’unique but de convertir et de maintenir la fidélité du peuple par une pression psychologique basée sur la peur.

C’est ainsi que le texte de l’Apocalypse, attribué à Jean, a été rattaché aux Évangiles seulement en 397.
La représentation qu’on se fait aujourd’hui de l’Enfer se construit peu à peu avec les écrits de saint Jérôme, de saint Augustin, de Thomas d’Aquin ou bien encore à partir de textes poétiques racontant des visions ou des voyages fantastiques.

Il faut attendre le XIVème siècle pour que Benoît XII évoque les tourments infernaux qui attendent les grands pêcheurs. Il faut dire, qu’à cette époque, le récit de la Divine Comédie de Dante Alighieri venait de donner de l’Enfer une image très proche de la représentation qu’on s’en fait aujourd‘hui…

Les enfers ? C’est la même chose que l’enfer ou pas ?
Pas vraiment, mais c’est la base qui a permis aux chrétiens du Moyen Âge de passer des Enfers à l’Enfer ! Allan Kardec retrace parfaitement toute l’évolution, de l’Enfer païen à l’Enfer chrétien, dans son livre Le Ciel et l’Enfer.

On comprend comment les premières légendes puis les récits des poètes, comme Homère et Virgile par exemple, se sont trouvés récupérés, transformés, pour donner corps, graduellement, à l’Enfer chrétien qui ne figurait pas, en tant que tel, dans la Bible.

Il y a beaucoup de différences entre les enfers et l’enfer ? Quel est le pire ?
Au départ, les Enfers c’est un lieu unique, pour tous, comme un monde lugubre semblable à une grande caverne souterraine. L’Homme, qui provient de la poussière, y retourne à la poussière.
Puis, après Platon et certaines religions de salut comme l’orphisme, on a distingué les âmes méritantes des âmes pénitentes.

Les Enfers, c’est alors le royaume des morts de la mythologie grecque dans lequel règne le dieu Hadès (ou Pluton pour les romains). Son simple nom peut faire peur, car c’est une divinité implacable et inflexible, mais qui n’a rien de monstrueux.

Toutes les âmes des défunts vont toujours aux Enfers, mais les Enfers comprennent maintenant différents lieux où vont être dirigés les morts en fonction de leur vie terrestre et du jugement des dieux. Dans les Enfers, on trouve l’Erèbe qui est le lieu le plus proche de la surface de la Terre. C’est là où on va lorsqu’on dort.
Il y a aussi le Champ des Asphodèles qui accueille les âmes qui n’ont rien fait de mal mais rien fait de bien non plus. Ces âmes « neutres » mènent une existence vide et fade où elles patientent pendant l’éternité.
On y trouve aussi les Champs-Élysées où vont les âmes des justes et enfin le Tartare où vont celles des méchants. On y enferme les grands criminels qui subissent les pires tortures.
Du coup, ce serait plutôt le tartare qui équivaudrait à notre enfer chrétien ?
En quelque sorte, mais il y a tout de même de sérieuses différences comme, par exemple, concernant celui qui est censé régner sur ce lieu. Dans le Ciel et l’Enfer, Allan Kardec écrit :
« Comme les païens, les chrétiens ont leur roi des enfers, qui est Satan, avec cette différence que Pluton se bornait à gouverner le sombre empire qui lui était échu en partage, mais il n’était pas méchant ; il retenait chez lui ceux qui avaient fait le mal, parce que c’était sa mission, mais il ne cherchait point à induire les
hommes au mal pour se donner le plaisir de les faire souffrir ; tandis que Satan recrute partout des victimes qu’il se plaît à faire tourmenter par ses légions de démons armés de fourches pour les secouer dans le feu. »

Mais et chez les Egyptiens alors ? Nous avons tous en mémoire nos cours d’histoire avec cette plume sur une balance lors di jugement des morts. On distinguait donc bien déjà les bons des mauvais ?
Oui, tu veux parler de la psychostasie, ou de la pesée de l’âme qu’on retrouve dans de nombreuses cultures.

Dans l’Égypte antique, après un périlleux voyage, le défunt se présente devant Osiris, dans la salle du jugement. Annubis s’occupe de peser l’âme.
Si elle est plus légère que la plume de Maât (la déesse qui personnifie la droiture et l’équilibre), le défunt est considéré juste et peut donc prétendre à une vie éternelle. Dans le cas contraire, si l’âme est alourdie par trop de péchés, elle est immédiatement dévorée par Ammout ce qui lui interdit ainsi, à jamais, l’accès aux champs d’Ialou, le paradis des Égyptiens.

Dans certaines versions, Ammout se tient devant un lac de feu dans lequel elle plonge le cœur du mort après le refus de sa justification. C’est le seul lien qu’on puisse véritablement faire avec notre « enfer chrétien ».

 


 

Bibliographie

Léon Denis dans Christianisme et Spiritisme.